J'arpentai le rayon animaux, en me dirigeant vers la partie réservée aux poissons. J'avais noté sur un bout de papier :
- Eau déminéralisée
- Nourriture poisson
- Sable fin aquarium
En effet, j'avais commencé un élevage de triops (sorte de petites crevette préhistorique avec une carapace sur le dos) il y a quelques jours, et il était temps que je change l'eau de leur aquarium. Alors que je cherchais la bouteille d'eau la moins cher, une voix que je commençais à connaître me fit sursauter. Je me retournai et vis Aurora avec un caddie. C'était fou comme les magasins pouvait nous réunir. Je lui souris et lui dis Salut ! Ca va ?

Oui. Je dois acheter des truc pour mes triops. De l'eau déminéralisée, du sable et de la nourriture. Puis, je me suis demandé ce qu'elle faisait là. Peut-être qu'elle avait des animaux ? Je décidai alors de lui demander Et toi, tu fais quoi ici ? Tu as des poissons ?. Je souriais en attendant sa réponse.

Son petit visage étonné me faisait rire. Des triops répétais-je. Des sortes de crevettes avec une carapace et trois yeux, d'où le nom triops : trois yeux. Apparemment, elle ne s'y connaissait pas vraiment en poisson. Ce qu'elle me confirma en répondant à ma deuxième question, elle n'avait en effet pas de poisson. Alors, que faisait-elle ici ? Mais je zappai cette question et enchaînai : Mais c'est pas connu comme bestiole, si tu veux je te les montrerais un jour.. Je n'en revenais pas de ce que je venais de dire. Je venais de l'inviter chez moi ! Je me balançai d'un pied sur l'autre, appréhendant sa réponse.

Elle était vraiment belle quand elle écoutait mes explications, comme si je lui racontais des choses super importantes et que cela la passionnait. Lorsqu'elle accepta de venir chez moi, j'ai cru que j'aurai pu faire une danse de la joie dans le rayon poisson, mais je me suis dit que là, c'était certain, elle partirai en courant. Alors, je me suis contenté de sourire et de lui dire Cool. Je me retournai vers le rayon poisson, attrapai ce qu'il me fallait sans même faire attention aux prix et à la qualité de la nourriture puis j'avançais dans l'allée. Je mis un certain moment à comprendre qu'elle n'avait peut-être pas compris que c'était tout de suite qu'on allait chez moi. Alors je me retournai et lui dis, d'une voix pas très assurée Tu viens ?

Je n'habitais pas loin du centre commercial, ce qui fais que nous avons pu nous y rendre à pied en dix minutes environ. J'habitais au cinquième étage d'un immeuble pas très classe. C'était pas super, l'immeuble était vieux et la plupart de mes voisins avaient entre 50 et 80 ans, j'espérais qu'elle ne serait pas trop déçue. Ca me mettait un peu mal à l'aise. Si j'avais pu habiter dans un grand et beau studio, ça aurait été beaucoup plus simple, et surtout, beaucoup plus présentable. L'ascenseur ne fonctionnait plus depuis déjà un bon mois. Je la voyais avec ses kellogs, ses pâtes, son lait et son eau dans un sac au pied de l'escalier. Je me suis dit que ça serais un peu vache de la laisser porter ses courses jusqu'au cinquième. Tu veux que je t'aide à porter tes courses ? J'habite au cinquième.

Spoiler:

Elle refusa ma proposition, en disant qu'elle était forte (ce dont je ne doutais pas, mais si jamais elle n'a pas l'habitude de monter cinq étages, elle risque d'être crevée une fois arrivée en haut). Je la laissai donc commencer son ascension. On montait les escaliers, il ne nous en restait que deux à gravir. Mais j'entendis soudainement mon prénom résonner dans la cage d'escalier. Oh non ! Pas Bernard l'alcoolique. Lui, c'était le pépé avec toujours une bouteille de whisky à la main, et qui, depuis que j'étais arrivé, essayait de m'en faire boire. J'entendis ses pas s'approcher tandis qu'il chantait je ne sais quelle chanson. Je jetai un coup d'oeil à Aurora qui devait vraiment se demander c'était quoi ce bordel. Fallait vraiment pas qu'elle voit cet ivrogne, ça craignait trop. On court ? Je ne lui laissais pas le temps de répondre, la pris par la main et l'entraînai avec moi dans les deux étages qu'il nous restait à monter.

Je la vis reprendre son souffle pendant quelques minutes. J'aurai peut-être pas dû monter aussi vite les escaliers. Il fallait dire que j'avais l'habitude de les monter en courant pour échapper aux p'tits vieux et à leurs questions parfois très étranges (ou pour échapper à pépé Bernard l'alcolo). J'ouvris la porte à moitié, puis je me rappelai que je n'avais pas rangé depuis au moins... euh... depuis mon arrivée ici. Je lui aurais bien dit d'attendre cinq minutes dans le couloir mais 1) Cela ne se faisait pas, 2) Elle pourrait se poser des questions et 3) Il y a pépé Bernard dans les escaliers. J'eus alors une idée pour éviter de la faire fuir en sens inverse si elle voyait mon appartement dans son état habituel. Je toussotai, me grattai légèrement la joue, vraiment pas à l'aise, puis dit : Euh, tu peux fermer tes yeux... Pas longtemps ! Juste le temps que je range quelques trucs et tout... fin...hum... tu peux fermer tes yeux ?

Pendant qu'elle ferma les yeux, je me dépêchais de tout ranger. La vaisselle dans l'évier, les boites de pizza à la poubelle, quelques feuilles volantes rassemblées en une pile et mes livres en plein milieu du passage étaient rapidement mis sur la table basse. Bon, c'était pas parfait, il y avait encore des livres et des feuilles volantes un peu partout, certains de mes oiseaux en origami qui avaient échoué par terre, le fil les maintenant au plafond ayant cédé, mais c'était déjà mieux, au moins la nourriture ne trainait plus en bordel sur la table. C'est bon, tu peux ouvrir les yeux ! Et, désolé, c'est un peu le bordel quand même. La prochaine fois, avant d'inviter quelqu'un chez moi, je ferais le ménage de fond en comble AVANT que la personne ne vienne. Tu veux aller voir les triops ? Lui proposais-je, n'ayant pas oublié la raison de mon invitation.

Elle avançait lentement, pas vraiment à l'aise. J'aurai peut-être dû ranger un peu plus avant de lui dire d'ouvrir les yeux... Bon, trop tard. Je me dirigeai donc vers la petite porte, au fond de mon appartement, qui donnait sur ma chambre. Elle était petite, seul un lit simple (non fait, forcément) ainsi qu'une table de nuit et une commode en bois y logeaient. C'était sur ma commode qu'était posé mon aquarium à triops. Je déposais mes courses au pied du meuble. Je me retournai vers Aurora tout sourire : Viens voir, faut que je te les présente.

Elle s'était approchée pour regarder les triops. Je pris la loupe qui était à côté, car certains étaient encore trop petits pour les voir à l'oeil nu. Oui, le plus gros, qui nage toujours sur le dos, c'est Bernard. Je pris ma loupe et lui montrai un qui ne devait pas dépasser un centimètre. Lui, c'est Jacques. Et à côté, c'est Bernadette. Il en restait deux autres, plus gros, qui devaient faire trois centimètres environs. Et eux, c'est Jackie et Francine. Au fait, je leurs ai donné les noms des pépés et mémés de l'immeuble.

Elle riait pendant que j'énonçais les prénoms de mes triops, et cela me faisait rire à mon tour. Elle me demanda alors comment s'appelait l'ivrogne des escaliers. Bernard. C'est pour ça que j'ai choisi d'appeler le triops qui nage tout le temps sur le dos Bernard : Il a le cerveau complètement retourné ce pépé. Puis j'ai eu envie de savoir quelque chose. C'est lequel ton triops préféré ? Lui demandais-je en souriant. J'espère qu'elle me répondra pas Bernard, car c'était quand même le plus moche et le plus débile de l'aquarium.

Je la voyais essayer de pointer Jacques du doigt. Bon choix, vraiment, et j'aime bien la raison de ton choix.. Je décidai d'allumer la lumière au dessus de l'aquarium, car la température de l'eau était trop basse. Il faut toujours maintenir la température entre 21 et 25 degrés, c'est très important. Je pris ensuite une louche de cuisine pour ramasser une mue de triops qui s'était déposée au fond de l'aquarium. Les triops ont la particularité de muer, comme les serpents. Tiens, regarde, c'est une mue de triops, c'est marrant non ? D'après la taille, je pense que c'est celle de Bernard ou de Bernadette. Lui dis-je en lui mettant la louche sous le nez.