j'avais rien à faire, cet après-midi là. j'm'ennuyais ferme, alors j'ai décidé de faire quelque chose de constructif... pour une fois. voilà, maintenant j'me balade dans une forêt sombre, j'flippe à chaque bruit que j'entends et je manque de me vautrer par terre tel un gros cachalot toutes les dix secondes mais tout va bien. d'ailleurs, qu'est-ce qu'il y a de constructif à se balader en forêt, hein? dites-le moi, j'suis curieuse. allez-y, j'vous attends. rien, absolument rien. encore une erreur dans mon existence parsemée d'erreurs qui font suite à d'autres erreurs etc. manquerait plus que j'croise quelqu'un dans cette situation très gênante. eh j'ai parlé trop vite. à quelques mètres de moi, j'aperçois quelqu'un. mon cœur galope dans ma poitrine et je commence à paniquer. qui c'est? qu'est-ce que ce paumé peut bien faire là en plein milieu d'une forêt? putain, les gens n'ont que ça à faire ! je continue à avancer prudemment. il m'a vu. et moi je le reconnais, c'est l'autre malade qui m'avait gueulé dessus l'autre jour dans la rue, sans aucune raison. il veut se venger, c'est ça? j'lui avait jeté des insultes au visage aussi, j'y avais pas été de main morte. ah non, encore vous !!! il me regarde, j'crois bien qu'il m'a reconnu aussi. qu'est-ce que vous foutez là? vous m'avez suivie? vous allez essayer de m'éliminer, c'est ça? j'aurai dû m'en douter ! n'approchez pas, sinon je hurle.

repos. this is all i need. repos. je veux me reposer. m'allonger dans l'herbe, regarder le ciel, écouter le chant des oiseaux. (chant que je hais, malgré tout. ) j'ai simplement envie de me mettre sous une couverture, ou dans les feuilles mortes, et j'ai envie de silence. silence. c'est tout ce que je demande. que les gens ferment leurs grandes gueules et qu'ils se cachent dans un trou. je veux la paix. et comment peut-on avoir la paix si tout autour de nous bouge, parle ? c'est insupportable. invivable. pourquoi est-ce que je reste dans ce trou ? pourquoi est-ce que je ne pars pas vivre ailleurs ? ah oui. évidemment. parce que j'ai pas l'argent pour. saloperie.
donc voilà. je suis ici. allongé au milieu des feuilles. et j'entends du bruit. pourquoi ? pourquoi est-ce que les gens ne peuvent pas me foutre la paix quelques secondes ? je me lève, évidemment. je ne veux pas rester ici. je ne veux plus. je regarde autour de moi. oh, tiens. je connais cette tête. je l'ai déjà vue. où ? je ne peux dire. tout est flou, vague. en brume. je m'approche de ladite fille. après tout, qu'ai-je à perdre ? elle se met à gueuler. hein ? « ah non, encore vous !!! » tiens, elle me dit quelque chose. « qu'est-ce que vous foutez là? vous m'avez suivie? vous allez essayer de m'éliminer, c'est ça? j'aurai dû m'en douter ! n'approchez pas, sinon je hurle. » pourquoi est-ce que je t'approcherais, chère inconnue ? je fronce les sourcils. « calme, calme. je ne vous veux aucun mal.. » ah oui je me souviens d'elle maintenant. « et j'aimerais m'excuser pour la dernière fois... » encore faut-il que je pense mes excuses...

je le fixe. je scrute le moindre de ses mouvements. un de ses gestes va bien trahir son intention, ce mec n'est pas une machine. il m'a l'air affreusement gentil, le genre de gars à qui on aimerait faire des bisous et des câlins un peu tout le temps, alors qu'à d'autres, on n'a qu'une seule envie c'est de leur faire le plus mal possible. je connais ça, j'fais partie de la dernière catégorie. mais j'continue de me méfier. ma mère m'a toujours dit qu'il ne fallait pas donner sa confiance au premier venu, et c'est bien la seule chose que j'ai retenue d'elle. elle, à présent à des milliers de kilomètres de moi, mais j'm'en fiche. il me veut aucun mal. ouais ouais, c'est ça. j'me tais et j'analyse la situation. il me veut peut-être pas de mal, comme il le dit. mais j'sens bien qu'il y a quelque chose qui cloche en lui. il a l'air absent, ailleurs. il s'excuse. je recule, c'est automatique. "pardon?" j'crois que j'ai mal entendu. j'aime pas quand on me présente des excuses, même si elles ne sont pas sincères. personne ne s'est jamais excusé auprès de moi je crois, ça me fait tout drôle. j'veux plus y penser, y'a quelque chose qui tourne pas rond. il a des trucs bizarres dans les cheveux. j'approche ma main puis je tire doucement sur ce qui dépasse. c'est une feuille. j'esquisse un sourire, me retenant de rire. il a pleins de petites feuilles accrochées dans les cheveux. ça le rend encore plus mignon, on dirait un petit enfant. mais bien sûr, je n'vais pas le lui dire. j'devrais même pas penser ça, faut que j'me reprenne. "vous étiez allongé par terre? bon sang mais qu'est-ce que vous foutiez?" mais j'me dis qu'au fond, ça doit être cool. j'aimerai bien essayer.

pourquoi elle recule la petite ? est-ce que je fais peur ? probablement. je ne sais même pas à quoi je ressemble. est-ce que je ressemble à quelque chose, tout simplement ? ma tête me fait mal. je suis fatigué. i need some rest. je veux du calme. et là, rien n'est calme. il y a elle. elle qui respire, elle qui parle, elle qui me demande "pardon?", elle qui vit. pourquoi elle vit ? pourquoi elle est là ? c'est un complot, c'est ça ? on veut ma mort ? je suis sûr qu'elle veut ma mort. alors pourquoi est-ce... pourquoi elle touche mes cheveux celle-là ? je ne la connais pas ! me touche pas, merde, on s'connait pas ! pourquoi tu t'approches de moi ? FUCK OFF. sauf que j'parle pas. j'dis rien. je la regarde avec des gros yeux et je recule. j'aime pas qu'on m'approche trop. quand les gens s'approchent, ils finissent par s'attacher. il ne faut pas s'attacher à moi. jamais. je peux tuer. j'ai tué. je me hais. elle me demande pourquoi j'étais dans l'herbe. herbe ? ah oui. feuilles. voilà pourquoi elle me touchait. hm. je la dévisage, comme si elle était un monstre. comme si elle me voulait du mal. et si c'était le cas ? si elle me veut du mal ? tout le monde me veut du mal. à commencer par mon psy. cet imbécile veut que j'me drogue aux médicaments. non mais le con. « les feuilles sont plus confortables que les lits. elles ne sont pas faites par l'homme. elles sont plus sécuritaires. » je souris un peu, comme pour appuyer mes paroles. je souris toujours. ça donne un côté humain. humain que je ne suis pas. « et vous... vous faites quoi ici ? les humains n'ont-ils pas peur de la forêt, en général ? » je penche ma tête sur le côté et l'observe. je suis fatigué. pars, pars. fuis ma question. ne réponds pas. je t'en supplie. ne me parle pas...

je le regarde. il n'a pas eu l'air de vraiment apprécier le bref contact que nous avons échangé. oh et puis après tout, j'm'en fous. est-ce que j'ai aimé le voir divaguer entre les arbres comme une âme en peine, moi? non. j'ai même failli y laisser ma vie et j'aurai servie de bouffe aux fourmis. parce que j'suis sûre qu'il n'aurait même pas pris la peine de déplacer mon corps. peut-être pour le disséquer? j'hausse les sourcils en réponse à sa réaction. c'est bon. j'pue pas non plus, j'me suis lavée ce matin. j'peux lui faire sentir mes cheveux si ça lui chante. il parle comme s'il ne se considérait pas comme un humain. il est vraiment intriguant, bizarre. c'est peut-être un fantôme. peut-être que j'suis folle, que j'deviens folle ou que j'suis en train de faire un bad trip? mon dieu, réveillez-moi. je parle avec un homme qui aime se coucher dans les feuilles en plein milieu de la forêt parce qu'elles ne sont pas faites de la main de l'homme. c'est un rêve, non? "j'sais pas. j'ai jamais essayé." c'est la vérité. j'ai tendance à essayer tout ce qui est possible sur cette terre, mais pas ça. j'aurai un peu peur que toutes sortes d'insectes me montent dessus. il sourit. encore un signe de ma folie, c'est certain. "moi? je..." qu'est-ce que je fais là? j'le sais même pas, j'peux pas lui répondre. il me prendrait pour une tarée. ou peut-être pas. "t'es pas un humain, toi? je viens là parce que j'aime bien l'odeur de la forêt." pff, j'me fais pitié. l'odeur de la forêt? c'est quoi ça? un stéréotype qu'on trouve dans les œuvres des vieux poètes has-been. dans le genre connerie, on n'fait pas mieux. mais... faut avouer que ça sonne assez bien quand même.

elle est bizarre. elle n'est pas comme les autres. elle est jeune. j'aime bien les filles jeunes. elles ne font pas peur. elles n'ont pas peur de moi, non plus. maman a peur de moi. maman est conne. pourquoi je pense à elle ? arrête de penser à elle, idiot. je recule encore. j'aime pas les contacts. j'aime pas les gens. j'aime pas sa tête. elle est belle. c'est une femme. elle devient soudainement moins belle. foutu corps qu'est le mien. je la regarde. elle est mignonne quand même. pourquoi je pense à tout ça ? arrête, ez, reprends-toi. je souris. toujours ce foutu sourire hypocrite. ça me rend un peu plus humain autant le dire maintenant. j'aime pas les humains. « tu devrais. les feuilles, c'est cool. » pourquoi je parle comme un ado ? qu'est-ce qui me prend à lui parler ? merde, j'ai peur. elle me fait peur. elle me fait parler. ça m'effraie. je tremble. NON. c'est pas le temps. arrête. arrête. calme-toi, merde. ma vue se brouille. putain. non, pas encore. chut. pense à l'autre crétin. je souris un peu. son sourire. il a un beau sourire, le psy. respire un peu, ez. tout va bien aller. tu n'es pas fou. je sais que je ne le suis pas. je relève mes yeux vers la dame. puis je lui demande pourquoi elle est ici, elle. elle me répond. sa réponse me fait rire. pourquoi je ris ? c'est bête de rire pour ça. "l'odeur de la forêt". je la comprends. c'est con. « l'odeur de la forêt se définit par l'absence de l'odeur humaine. les humains n'aiment pas les forêts. ils y viennent soit pour les détruire, soit pour admirer les animaux. jamais pour admirer la forêt. j'aime la forêt. est-ce que cela fait de moi quelqu'un qui n'est pas humain ? » je réfléchis trop. faut que j'arrête. je tremble. ma voix tremble. je déteste ça. je stresse. je hais ça. parler avec les gens. contrôle-toi. je me reprends. je souris. je redresse le dos et je la regarde, comme si j'étais sûr de moi. je ne suis sûr de rien du tout. ma tête va exploser.

un coup il paraît détendu, l'autre j'ai l'impression qu'il est sur le point de claquer. c'est tellement contradictoire que c'en devient déroutant. "j'essaierai, un jour. j't'appellerai." enfin, j'dis ça, j'le ferai sûrement jamais. il doit sûrement pas avoir envie de me revoir non plus. c'est dommage au fond. j'suis sûre que les hommes de cro-magnons le faisaient, c'est peut-être pour ça qu'ils étaient si pacifiques et qu'ils tuaient que les gros mammouths pour les bouffer après. ok, c'est bizarre mais j'suis sûre que c'était comme ça. j'ai vécu à la préhistoire dans une vie antérieure. pendant que j'pense à toutes ces conneries, il se met à trembler. euh? j'sais pas quoi faire. ça me gêne, alors je regarde autour de moi. j'appelle silencieusement les écureuils à l'aide. personne m'entend. shit. il va faire un malaise ou quoi? putain, ce serait bien le moment de traîner un corps dans la forêt. j'passerai pour une criminelle, encore une fois dans le rôle de la méchante. la roue tourne des fois, ou comment ça se passe? ouf, il sourit. un sourire, c'est souvent encourageant mais chez lui, ça a l'air différent. il se met à rire. ô miracle? il est beaucoup plus beau quand il a l'air heureux, il devrait s'y essayer plus souvent. même si c'est une façade. je l'écoute. il a encore des feuilles dans les cheveux, ça me stresse. j'vois que ça. hé! ce qu'il dit, c'est pas con. pas con du tout, j'suis même d'accord avec lui. c'est qu'on a peut-être des points communs? les humains sont des cons. la pourriture la plus basse sur cette terre et je pense plutôt que les hommes viennent dans la forêt pour la réduire en poussière. "non. ça fait de toi quelqu'un d'humain, qualité dont la plupart de nos semblables semblent ignorer l'existence dans leurs vies complètement nombrilistes et égoïstes. enfin... je pense." en fait, il se pose pleins de questions. on dirait pas, comme ça. se poser des questions, c'est bien. mais se poser trop de questions, ça tue. et je pense aussi que lui, l'homme dont je ne connais même pas le prénom, se torture avec toutes ses questions. il a besoin de se lâcher, ça c'est sûr.

j'ai l'impression que les rôles s'inversent. je perds le contrôle et elle le gagne. puis peu à peu, c'est moi qui contrôle la situation. mais est-ce que je la contrôle réellement ? est-ce qu'on peut réellement contrôler une situation ? je ferme les yeux un instant et l'écoute. elle me dit qu'elle essayera. je souris, même si je ne la crois pas réellement. puis cela me fait penser au pourquoi de ce sujet : elle m'a retiré une feuille des cheveux. je passe ma main dans mes cheveux. merde, merde, merde. trop de feuilles. ma main libre sort mon téléphone portable et je me regarde à l'aide de la caméra frontale pour retirer toutes les feuilles. tout en le faisant, j'écoute sa réponse à mon analyse. il est faux de prétendre que seules les filles savent faire deux choses à la fois. ou bien dans ce cas je suis une femme. parce que dès que mon interlocutrice se tait, j'ai les cheveux propres et les feuilles ont retrouvé leur place. je souris un peu, content de trouver quelqu'un qui me comprend. qui me comprend réellement, sans blagues et sans prétendre. elle n'a pas à le faire. elle ne me connait pas. alors elle ne peut que être sincère. à moins qu'elle soit simplement trop hypocrite. quoique je m'en doute. faut que j'arrête de douter et que je me fasse confiance... non, non. je ne peux pas me faire confiance. je range mon téléphone. « humain. j'aime pas ce terme. qu'est-ce que ça signifie, au final ? on accorde de l'importance à des mots qu'on sort de nulle part et on leur accorde une signification quelconque qui n'est peut-être pas celle d'autrui. la communication est une action tellement abstraite, tu sais... » je rigole un peu en haussant les épaules. « alors je ne sais pas. je ne me considère pas comme humain simplement parce que je me considère supérieur. » mensonge. mais il est plus simple de mentir que de raconter la vérité.

il sort son téléphone. qu'est-ce qu'il va faire, téléphoner à la police? depuis qu'il s'est mis à me hurler dessus dans cette rue de gold coast l'autre jour, je le prends vraiment pour un gars bizarre et psychotique. j'devrais pas. il est gentil, il aime la nature. il s'allonge dans les feuilles au milieu des arbres. il a juste l'air hypersensible. on doit vraiment pas se fier aux apparences parce qu'elles sont trompeuses. on peut croire que c'est un proverbe populaire sans aucun fondement mais c'est faux. j'ai toujours jugé sur les apparences mais il vient de faire exception à la règle. en fait, il sort son téléphone pour se regarder et enlever les feuilles qui parsèment sa chevelure. j'me fais vraiment trop de films. faut que j'arrête. ouf, ces choses ne vont plus me perturber. j'pourrais enfin parler sans avoir l’œil attiré par des fragments de nature. je souris. c'est drôle ce qu'il dit. il réfléchit trop, je le pense vraiment. il a plutôt l'air d'avoir un complexe d'infériorité alors quand il m'annonce qu'il se sent supérieur, je tique. "tu te considères supérieur?... vraiment?" j'hausse les sourcils. j'essaye de ne pas être trop agressive dans mes questions, il pourrait se braquer. il est imprévisible. il ne me dira certainement pas la vérité mais j'essaye quand même. "comment tu t'appelles?" question bête. j'ai l'impression de redevenir une gamine de quatre ans au milieu d'une cours de récréation. moi, je le vois bien s'appeler paul. ou julien. paul-julien peut-être. qui sait?

je mens toujours. je mens souvent. je mens trop. mentir est toujours plus simple que de dire la vérité. mentir est tellement évident. au final, on ne sait jamais ce qui est faux et ce qui est vrai. on peut mentir tellement qu'on finit par croire ses mensonges. peut-être que ma vie est un mensonge. peut-être que ce mensonge est devenu réalité. elle me demande si je me sens réellement supérieur aux autres. j'hausse les épaules et je souris. « bien sûr que je le suis. les gens sont trop cons pour s'en rendent compte. mais je le sais. je suis supérieur à eux tous, parce que je vois. » c'est si simplement de faire semblant d'avoir confiance en soi. c'est si simple de parler avec assurance. c'est si simple de jouer un jeu quand au fond, on ignore qui on est. si simple de regarder les gens et de leur faire croire qu'on dit la vérité, tandis qu'on ne fait que mentir. la vie est un tissu de mensonges. je suis un mensonge. mais je ne suis pas fou. ça, non. je peux être tout, tout le monde. le meilleur pote comme l'assassin, mais je ne suis pas fou. je sais qui je suis au fond de moi. du moins, j'espère le savoir. elle me demande mon prénom. inventer ou dire vrai ? inventer. tant qu'à commencer sur une base de mensonges, autant y aller jusqu'à la fin. « emerick zaffir. mais les gens m'appellent ez en général. et toi ? » enfin, semi-mensonge. mon répondeur dit mon surnom, donc il faut bien que je ne mente pas sur mon surnom. mais le reste, qui s'en fout ? à ses yeux je serais emerick. aux yeux de mon psy, je serais un numéro de dossier, aux yeux d'akaelle, je suis ezéckiel, mais au final, je ne suis qu'Ez. le pauvre ez, le ez perdu. je suis moi. je suis personne. je ne suis pas fou.

je le laisse parler. je ne le crois pas. j'ai envie de lui dire que quelqu'un qui se sent supérieur aux autres ne se met pas à trembler, à paniquer pour si peu de chose. je trouve ça con de se cacher derrière des mots. ce n'est pas mon rôle de lui dire. qui suis-je? pour lui, personne. alors je ne dis rien. qu'il continue si ça lui fait du bien. pourquoi il est comme ça? j'aimerai bien savoir. "tu ne seras jamais aussi supérieur que je ne le suis. les femmes ont plus de valeur que les hommes et ça sera toujours ainsi." je ris intérieurement. j'aime provoquer les gens, c'est excitant. leurs réactions définissent qui ils sont réellement. certains rient, d'autres s'énervent alors qu'un autre ignore. c'est intéressant. il me dit qu'il s'appelle emerick et on le surnomme ez? mouais, bizarre. y'a pas de "z" dans son prénom. j'suis sceptique. j'le crois ou j'le crois pas? j'préfère julien alors je vais l'appeler comme ça. "ina. julien ça te va mieux, j'vais t'appeler comme ça. c'est mieux." et si ça te plaît pas, c'est pareil - comme dirait maman.

je baisse les yeux un instant. j'aime pas avoir à affronter les regards des gens. je déteste les gens. et puis, je voulais être seul. me reposer. pas être pris avec une inconnue et devoir lui parler. putain j'aurais dû partir. m'enfuir. c'est pas comme si notre première rencontre n'était pas des plus plaisantes, hm. bref. j'en ai marre. et puis elle me regarde et elle me sort son baratin sur la supériorité des femmes. ouais, c'est ça. les femmes. je hais les femmes. enfin, ça dépend desquelles. mais je ne les aime pas. pas depuis maman. je hais maman. « si tu dis. » je souris pour faire genre. au fond, je ne sais même pas pourquoi on parle de supériorité. la plupart des gens m'ignorent quand je mentionne me sentir supérieur. pas elle. et ça me trouble parce que je n'ai jamais menti sur ça. putain, merde. elle me sort son prénom. ina. puis elle, elle veut m'appeler julien. d'accord, alors je serais julien pour elle. « enchanté, ina. appelle-moi comme tu veux. les gens me trouvent toujours des surnoms de toute manière. » ce qui est en parti vrai. parce que d'un côté, c'est pas comme si je me présentais toujours sous mon vrai nom. et au fond, on s'en fout, non ? je souris de nouveau et je décide de m'asseoir. marre d'être debout, puis les feuilles me manquent.

il fallait bien que j'affiche ma supériorité féminine puisque la journée mondiale de la femme approche à grand pas. oui, ça fait un peu la féministe écervelée qui a envie d'afficher son appartenance à un groupe dès qu'elle en a l'occasion, ce que je ne suis pas évidemment. j'fais seulement ça à titre de provocation. il ne relève pas. ça me surprend un peu, j'pensais pas. il sourit même. toujours le même sourire présent sur ses lèvres. ça n'a plus aucune signification au bout d'un moment. le piston ça marche si seulement une ou deux personnes bénéficie de ce traitement de faveur, si tout le monde se fait pistonner, ça sert plus à rien. bah là c'est pareil. ça le dérange pas que j'l'appelle julien. tant mieux au fond. il s’assoit. il a vraiment pas peur de toutes ces bêtes qui rampent sur le sol? on dirait qu'il va faire du yoga. j'vais pas rester plantée là alors je me mets à marcher. lentement parce que j'ai peur de m'étaler sur le sol. je regarde un peu autour de moi. c'est beau. c'est calme, paisible. différent du monde dans lequel on vit. je lève les yeux vers le ciel. en fait, c'est un peu comme une prison. il y a des arbres partout. ça peut rendre fou un homme. c'est peut-être pour ça qu'il est comme ça. c'est facile de se sentir écrasé par toute cette masse, de se perdre dans cette immensité. tu viens souvent ici?

j'accorde peu d'importance aux gens, aux prénoms, aux visages, aux relations. c'est une des principales raisons pourquoi je suis seul, toujours seul. mis à part le fait que j'ai peur, constamment peur. peur des gens, peur de moi, peur de tout. et il faut l'avouer, j'ai des raisons d'avoir peur. tout le monde a ses raisons, qu'elles soient ou non rationnelles. parfois la peur est trop grande et même si l'objet d'effroi est irrationnel, il devient rationnel. le cerveau est un putain d'organe, tout de même. alors je m'assois. je m'assois pour ne pas avoir à affronter son regard, pour ne pas avoir à affronter son jugement. tout le monde juge. quoique les gens prétendent, ils jugent. quoiqu'ils disent, ils pensent toujours quelque chose à notre sujet, et ce qu'ils pensent n'est pas forcément gentil. je sais qu'on me prend pour un con. je sais qu'on me prend pour un fou. je ne suis ni l'un, ni l'autre. enfin peut-être un peu stupide. que soit. ina – j'aime bien son prénom – me demande si je viens souvent ici. peut-être. qu'est-ce que j'en sais. elle, en tout cas, je peux dire que non. elle a peur. alors elle marche. quand j'ai peur, je m'assois. les gens normaux préfèrent canaliser leur peur et faire quelque chose. alors elle marche. je ris un peu. « quand le temps me le permet. et toi ? pas si souvent que tu le voudrais, hm ? » faut que j'arrête d'engager la conversation. surtout que ce n'est pas réellement ce que je... désire.

je regarde autour de moi. c'est un peu comme les gens, tout est pareil. les mêmes arbres, le même sol, le même ciel. en fait, j'aime pas vraiment la forêt. ça révèle en moi quelque chose de glauque. de sombre, de lugubre. un truc mauvais en tout cas. mais lui a l'air d'aimer tout ça. j'ai l'impression de l'embêter. est-ce qu'il me le dirait? "cet endroit dégage quelque chose de singulier. de presque malsain." j'suis peut-être encore possédée par des démons enfantins qui me crient de fuir à l'approche d'une forêt. c'est peut-être psychique, mais j'suis perturbée.

elle me dit que l'endroit est presque malsain. je relève mes yeux à ce moment pour la regarder avant d'exploser de rire. « c'est les humains qui sont malsains. » j'hausse les épaules en baissant de nouveau le regard vers les feuilles autour de moi. j'en prends une, rouge sang, et la tends vers ina. « regarde. un arbre qui saigne. comme un humain. sauf que c'est plus beau quand c'est un arbre. » on dirait presque un enfant de trois ans qui parle. j'me fais peur. elle me fait peur. ça tombe bien, j'ai peur.