j'en ai marre de la voisine qui prend toujours ma place au parking. j'en ai marre de cette conne qui me sourit avec ses dents mal alignées et ses yeux hypocrites. j'en ai marre qu'elle me regarde comme si j'étais un fou. ça fait trois fois que je suis en retard par sa faute. non mais ça va, c'est pas trop demandé de se garer à sa place ? pourquoi faut-il qu'elle prenne toujours MA place au parking ? le numéro de mon appartement y est inscrit, c'est bon, qu'elle aille se faire enculer cette pute. marre. mon psychiatre ne tient pas à ce que je vienne aux rendez-vous en voiture. il pense que ça me met de mauvaise humeur alors il insiste pour que je prenne le transport en commun. cet imbécile. quoiqu'il n'a pas tort. après plusieurs minutes, brooks dégage enfin et je peux stationner ma voiture. je claque la portière, sors et me dirige vers le métro. je hais le métro. je hais les gens. j'ai pas le choix.

j'arrive enfin. deux minutes de retard. PUTAIN. j'arrive jamais en retard. salope de voisine. « MAIS QU'ELLE AILLE SE FAIRE BAISER CETTE PUTAIN NON MAIS ÇA VA C'EST BON AUCUN RESPECT DE NOS JOURS, MERDE. MAIS JE VAIS LA TUER BORDEL DE SA MÈRE. » je balance les magazines posés sur la table de chevet. la réceptionniste me regarde et soupire, puis vient me porter un verre d'eau. verre que je cale avant de l'écraser et le jeter. la fille ne dit rien et retourne derrière son bureau. ouais c'est ça, dégage, connasse. j't'aime pas. « mais putain j'suis en retard c'est quoi ça, comment ça le doc il est pas là ? il fout quoi cet enculé ? il a quoi à me faire attendre ? c'est bon c'est pas la fin du monde si j'ai deux minutes de r'tard ! » je vais vraiment péter les plombs.

j'ai dormi avec papa cette nuit. on dort souvent ensemble quand je sens que je vais pas forcément très bien. en fait je crois que j'ai accumulé trop de colère en moi cette semaine. je ne pouvais plus rien supporter. les gens me donnaient envie de vomir. j'allais crever si je restais seule. je m'étais d'ailleurs surprise à me mutiler, comme dit le psy, à l'arrêt de bus hier soir pour rentrer du travail. je déteste utiliser le verbe mutiler. j'ai pas envie de me détruire. c'est fini ces conneries. capucine est morte, oui. moi aussi j'ai voulu mourir pour la rejoindre. mais c'était juste sur un coup de tête. bien que parfois, je regrette que ça n'ai pas marché. j'en ai marre de ma fragilité. tout serait plus simple sans mes crises d'angoisse et ma timidité maladive. le psy tente de m'aider. il me dit que je dois parler aux gens qui m'entourent. mais qu'est-ce qu'ils ont à faire d'une gamine de vingt ans, minuscule et aussi fin qu'un fil de fer ? rien du tout. alors je vais voir papa. lui il est là et ça me fait du bien de me retrouver dans ses bras. maman elle est trop occupée, elle essaie de rencontrer des gens, de sortir. mais papa m'a dit que je pouvais venir le voir quand je voulais, et c'est ce que je fais.

« ma puce, t'as pas un rendez vous avec le psy aujourd'hui ? » merde. merde merde MERDE. j'avais oublié. «  pourquoi le temps passe aussi vite quand je suis avec toi papa ? » il sourit. j'aime quand il sourit. et quand je le fais sourire. je lui fais un câlin avant d'aller prendre ma douche en vitesse et de m'habiller. « je t'appelles plus tard alors ? » il hoche la tête et je prend me affaires avant de lui déposer un bisou sur la joue. « je t'aime ma puce. » je souris et ferme la porte doucement avant de sortir. il y a toujours autant de monde dehors, c'est désagréable. puis y'a le voisin de papa qui semble scruter mes bras.je baisse les yeux et me rend compte que j'étais sortie bras nues. quelle conne. et c'est la raison pour laquelle j'ai gardé les bras croisés durant tout le trajet pour arriver chez le psy. il n'y avait personne quand je suis arrivée, j'étais en avance. puis un homme est arrivé environ deux minutes après moi. « MAIS QU'ELLE AILLE SE FAIRE BAISER CETTE PUTAIN NON MAIS ÇA VA C'EST BON AUCUN RESPECT DE NOS JOURS, MERDE. MAIS JE VAIS LA TUER BORDEL DE SA MÈRE. » il me fait penser à papa quand il s'énerve. mais c'est rare. j'ai l'impression d'être littéralement invisible à ses yeux. ça m'arrange. « mais putain j'suis en retard c'est quoi ça, comment ça le doc il est pas là ? il fout quoi cet enculé ? il a quoi à me faire attendre ? c'est bon c'est pas la fin du monde si j'ai deux minutes de r'tard ! » je le regarde un moment. j'hésite. j'ai envie de lui parler, à lui. «  tout va bien monsieur ? » j'ai toujours les bras croisés. ça m'embête. et ça fait mal. je souris légèrement. j'ai un peu peur quand même.

je me retourne. une fille est assise sur une des chaises. pourquoi elle est là ? depuis quand il y a des patients après moi ? je suis toujours le dernier patient. on s'est arrangés avec monsieur pour que je parte en dernier afin de ne pas faire perdre le temps aux autres. alors pourquoi elle est là ? qu'est-ce qu'elle fout là ? c'est qui elle ? pourquoi elle me parle ? pourquoi elle a les bras croisés ? je fronce les sourcils et je me retourne. hein, hein. je ne comprends rien. comment je suis arrivé là ? merde, merde, merde. calme-toi, ez. calme-toi. j'ai du mal à me calmer. je respire un bon coup. mes yeux regardent la fille sans la voir. comme si elle était invisible. non mais j'hallucine ! il n'y a personne. PERSONNE. je suis toujours le dernier. TOUJOURS. elle ne peut pas être là. peut-elle ? je m'assois à ses côtés. « euh... bonjour ? » je touche son bras. oh mon dieu. il est réel. RÉEL. je recule d'un bon. quoi ? comment cela se fait-il ? est-ce que... non. non. c'est le bon endroit. la réceptionniste est toujours blonde. les cadres sont les mêmes. les chaises, aussi. peut-être un complot ? oui, oui. c'est les monstres de mon rêve. ils veulent que cette dame me charme et m'amène loin. c'est sûr. sûr ! c'est elle. elle. la diablesse. j'en suis sûr. « vous... êtes ? » je souris. je souris parce que je sais que si je parais sûr de moi, alors elle ne pourra rien me faire.

il se retourne. j'ai peur. sérieusement. et pourtant je souris. c'est ce qu'il y a de mieux à faire dans ces moments là je suppose. j'en ai marre de moi. marre de ma timidité. je veux être quelqu'un d'autre. mais j'ai l'impression d'être invisible à ses yeux. d'être un fantôme. si seulement j'en étais un. il q l'air d'être perturbé. j'ai fait quelque chose de mal ? il a vu mes bras ? merde. faut pas qu'il les voit. je remet bien mes mains place de sorte qu'il ne puisse rien y voir. et il s'asseoit à côté de moi. merde. mais qu'est ce qu'il fou ? « euh... bonjour ? » mais oui bien sur, j'ai oublié de dire bonjour. mais quelle idiote. « euh oui bonjour, pardon.. » il touche mon bras. ok il a vu... fait chier. je regarde mon bras un moment mais je n'ose rien dire. j'ai juste envie d'être à nouveau invisible pour m'en aller en courant. « vous... êtes ? » il sourit. pourquoi il sourit ? et je souris aussi. « akaelle. enfin.. ouais. je m'appelle akaelle. et vous ? » j'ai l'air d'une idiote. pourquoi ne suis-je pas morte ? pourquoi ça n'a pas marché ? pourquoi je suis là ? nom de dieu je vais crever. mes coudes me font un mal de chien. c'est sûrement parce que je les pince. encore. j'arrive pas à m'arrêter. merde. pourquoi ne suis-je pas morte ?

la petite est aussi troublée que moi. pourquoi elle est troublée ? elle est la méchante, non ? non. elle ne semble pas méchante. assez inoffensive. assez innocente. non, non. je mens. c'est impossible. les femmes ne sont jamais aussi saintes qu'elles le laissent paraître. les femmes sont toutes des salopes. ma mère la première. merde, je la hais. je la hais je la hais je la hais. je souris. la fille sourit aussi. elle me salue. j'hausse les épaules. pourquoi ? allez savoir. je lui demande qui elle est. elle se présente. akaelle. c'est simple, c'est beau, c'est original. j'aime. elle me demande qui je suis. qui je suis ? qui suis-je. pourquoi je suis. qui es-tu, qui sommes-nous. je ne sais pas. je ne sais pas que j'ai envie de lui répondre. parce que c'est vrai. je ne suis pas qui je suis, pourquoi je suis et où je suis. c'est vague. tout est vague. la pièce tourne. elle sourit. elle sourit toujours. et elle est nerveuse. je la sens nerveuse. pourquoi est-ce qu'elle l'est ? suis-je si intimidant ? non, non, j'espère pas. « je me prénomme ezéckiel. mais tu peux m'appeler ez si tu veux. » j'aurais dû mentir. j'aurais dû, j'aurais dû, j'aurais dû.

il est beau. enfin nan. enfin si. mais pourquoi je regarde ça ? je veux partir. papa, viens me chercher. je suis ridicule. mes coudes me font un mal de chien. j'ai envie de me lever. je vais pas réussir à rester assise. faut que je fasse quelque chose. je me pince les coudes. mais c'est quoi ça ? je suis sûre que c'est le psy. c'est le psy ? je regarde sa porte. elle est fermée. mais qu'est-ce qu'il fou ? qu'est-ce que je dois faire ? faut que je sorte. faut que j'arrête de pincer mes coudes. mais je serais. je m'y force. pitié, faites qu'il n'ai rien remarqué. il s'appelle ézeckiel. c'est beau, c'est doux. ça sonne bien. ez aussi. il a l'air beaucoup plus âgé que moi je suis ridicule, minuscule. je ne suis rien. « c'est joli ézeckiel vous savez euh.. » pourquoi je répond ça ? mon dieu aidez moi. je dois sortir. faut que le psy arrive. enfin non j'aime bien ez. mais j'ai peur. j'étouffe. la pièce est trop petite. j'ai du mal à respirer.

elle parle. putain pourquoi elle parle ? pourquoi elle répond ? elle me dit que ezéckiel, c'est beau. ouais ben j'suis pas d'accord. ez, c'est beau. ezéckiel, ça fait sérieux. je suis pas un mec sérieux. je veux pas être un mec sérieux. j'ai pas une tête de mec sérieux. « ah euh.. merci ? akaelle c'est original. de quelle origine ? » je sais pas pourquoi je poursuis la conversation, pourquoi je lui réponds et pourquoi j'agis comme si je voulais lui parler. mais le psy n'arrivera pas d'ici tôt. il arrive toujours en retard quand je suis en retard. comme s'il le savait d'avance. pf. que soit. je regarde akaelle et je souris un peu pour avoir l'air normal, mais ma tête est déjà explosée.