Un stupide accident et me voilà à l'hôpital. Aujourd'hui au zoo, c'était le grand déménagement des manchots. Il fallait qu'on les transfert tous vers leur nouvelle enclos. Sauf qu'en voulant en attraper un, j'ai glissé sur un rochet et je suis tombée à l'eau. C'est vrai que j'avais une vilaine coupure à la tête mais rien de bien grave. Pourtant, mes collègues avaient insisté pour appeler les pompiers malgré mes protestations. Et ces derniers voulaient à tout prix que j'aille passer des radios pour écarter un éventuel traumatisme crânien. Une infirmière était venue nettoyer ma plaie et à présence j'attendais allongée dans une chambre vêtue d'une horrible chemise de nuit médicale, que le médecin vienne me recoudre et m'envoie faire une radio pour enfin sortir d'ici.

J’étais sur le point de partir. J’avais passé une grande partie de la nuit aux urgences. D’habitude, c’était plutôt calme. Quelques imprudents en début de soirée. Quelques inconscients bourrés en début de matinée. Mais cette nuit avait été particulièrement chargée. Un bus avait eu un accident et les blessés avaient afflué si vite qu’on avait été complètement dépassés. Comme d’habitude, j’avais su gérer le coup de feu. J’avais su garder le contrôle là où les autres cédaient à la panique. J’étais quelqu’un de déterminé, quelqu’un de fort. Il en fallait plus pour m’effrayer.
J’étais sur le point de partir. J’avais passé la matinée sur une opération à la con que j’avais déjà pratiqué des centaines de fois, mais j’avais pas pu refuser l’offre du titulaire. Je tombais de fatigue. J’étais sur le point de partir. Quand une infirmière m’a tendu un dossier.

« Vas trouver quelqu’un d’autre, je rentre chez moi.   »
« C’est juste une plaie à suturer. Ca te prendra dix minutes maximum.   »

Un sourire satisfait.

« Dix minutes ? Je dirais plutôt cinq. Je t’inviterai bien à assister à ma grandeur en matière de sutures mais j’imagine que tu as d’autres choses à faire. Et puis, j’ai pas besoin de public.   »

J’ai pris le dossier et je suis entré dans la salle. Je l’ai ouvert sans regarder le patient. J’ai parcouru les informations recueillies par les infirmières. Une chute. Une plaie. Rien de bien grave. Puis j’ai relevé la tête et c’est là que je l’ai vue. Et merde. La seule personne qui pouvait me faire paniquer se trouvait juste en face de moi. J’étais prêt à tout sauf à me confronter à mes erreurs. A cette erreur. J’ai conservé un visage stoïque.

« J’étais loin de penser que t’irais jusqu’à te faire du mal pour me revoir, Judith.   »

C'est pour ça que je détestais l'hosto. Fallait toujours attendre des heures pour voir un médecin et pour pas grand-chose en plus. Ce n'était pas pour rien que je ne voulais pas venir. Je serais allée chez mon médecin habituel, il m'aurait recousu et puis c'était une affaire classée. Au lieu de ça, j'allais passer la matinée ici. En plus, le lit était aussi confortable qu'une planche de bois et malgré les recommandations de l'infirmière de bien rester allongée, je prie place en position assise sur le bord du lit. Il fallait que je prévienne Charlotte que je serais très certainement en retard à notre déjeuné. Me saisissant de mon téléphone portable dans mon sac, la porte de la chambre s'ouvrit. Je ne prie même pas la peine de lever la tête, je voulais finir d'écrire ce message, mais le médecin ne m'en laissa pas le temps.

« J’étais loin de penser que t’irais jusqu’à te faire du mal pour me revoir, Judith. »

Cette voix. Je l'aurais reconnu d'entre toutes. Et c'était une raison supplémentaire de ne pas vouloir venir à l'hôpital. En fait, j'aurais dû rester coucher ce matin. Je finis par enfin lever les yeux pour fixer Stan. C'était la première fois que je le revoyais depuis cette fameuse nuit. A n'en pas douter, mes yeux étaient noirs de colère, mais tant qu'ils ne laissaient pas transparaitre de la tristesse j'en avais rien à faire.

« Si tu penses ça, c'est que tu es tombé bien bas mon pauvre Stanislas. »

Elle ne voulait pas rester une minute de plus dans cette pièce avec lui. Là c'était vraiment la goutte de trop. Elle ne voulait pas le voir, n'attendait aucune explication de sa part. Elle n'attendait plus rien de lui et elle s'était faite une raison. Mais surtout elle ne voulait pas parler de sa grossesse. Elle attrapa ses affaires et prit la direction de la sortie.

« Fallait pas te déranger pour moi. Je n'ai pas besoin de médecin et j'ai encore moins besoin de toi. »

« Si tu penses ça, c'est que tu es tombé bien bas mon pauvre Stanislas. »

J’ai levé les yeux au ciel. Elle semblait amère, elle avait raison. J’avais déconné avec elle. J’avais fait le mauvais choix. Je ferai toujours le mauvais choix. Je laissais mon ambition me consumer et je faisais comme si j’en avais rien à faire de tout ce que je laissais sur le bord de la route. Mais avec Judith, c’était différent. Avec Judith, j’avais merdé.

« Fallait pas te déranger pour moi. Je n'ai pas besoin de médecin et j'ai encore moins besoin de toi. »

Ca a toujours été dur pour moi de mettre ma fierté de côté. Pourtant j’ai pas hésité une seule seconde à attraper son bras pour l’empêcher de s’en aller.

« Toujours aussi piquante. J’aime.   »

Mon sourire sarcastique s’est effacé pour laisser place à un air plus concerné.

« Mais ton sale caractère ne va pas te sortir d’affaire cette fois-ci. Tu t’es ouvert la tête, à moins que tu ne veuilles aller saigner dans la rue, attraper une infection et revenir demain pour rallonger ton séjour ici de quelques jours, tu vas t’asseoir et me laisser faire mon boulot.   »

J’ai lâché son bras et j’ai commencé à chercher ce dont j’avais besoin pour la recoudre. J’essayais de gagner du temps.  De retarder le moment où je devrais la regarder dans les yeux. Et faire face à tout ce que j’avais choisi de perdre.

« Comment tu t’es fait ça ? »

« Toujours aussi piquante. J’aime. »

Alors qu'il m'agrippa le bras, j'avais une forte envie de lui en coller une. J'avais la sérieuse impression qu'il se foutait moi et j'avais horreur de ça. Mais je n'en fis rien, restant le plus calme possible dans une telle situation. Ce qui était difficile pour moi. Je suis plutôt du genre impulsive en général.

« Mais ton sale caractère ne va pas te sortir d’affaire cette fois-ci. Tu t’es ouvert la tête, à moins que tu ne veuilles aller saigner dans la rue, attraper une infection et revenir demain pour rallonger ton séjour ici de quelques jours, tu vas t’asseoir et me laisser faire mon boulot. »

Rallonger mon séjour pour le voir encore plus, certainement pas. Étonnamment, j'obéis. Je m'assis sur le lit sans broncher. De toute façon, je n'avais pas tellement le choix. Plus vite je coopérais, plus vite je sortirais d'ici et donc plus vite je ne verrais plus Stan. Je l'observais. Il me tournait le dos, il fouinait dans un placard à la recherche d'on ne sait quoi. Surement un kit de suture, mais il était particulièrement long pour quelqu'un qui est censé connaitre les lieux. Néanmoins, il n'avait pas changé. Il était comme dans mes souvenirs. Et je n'arrivais pas à comprendre comment on ne s'était pas croisé plus tôt alors qu'il travaillait dans le quartier où je vivais.

« Comment tu t’es fait ça ? »

« Je vois pas en quoi ça te regarde. Tu as pas besoin de savoir comment je me suis blessée pour me recoudre. »

J'étais toujours autant désagréable à son égard, mais je ne pouvais pas m'en empêcher. Je pensais avoir tourné la page, mais à le voir devant moi ainsi, je me rendais compte que j'avais toujours autant de rancoeur contre lui. Me forçant à prendre une voix plus douce, je repris.

« Tu sais, tu n'es pas obligé de te forcer à faire la conversation. Je veux juste que tu sutures ma plaie et je m'en vais. J'attends rien de toi Stanislas. »