Assise sur le rebord de la fenêtre, j'allume une nouvelle cigarette. Je sais que je devrais pas, tout comme je sais que je n'aurais pas du l'appeler. Mais c'est pas comme si le sol de mon appartement n'était pas couvert d'eau, c'est pas non plus comme si j'avais pas besoin d'aide. Je soupir en laissant s'échapper la fumée, lâchant finalement le téléphone portable sur le plan de travail. tant pis, c'est trop tard. de toute façon, il est surement déjà en route, et puis si c'est pas le cas, il viendra quand même. Il l'a promis. Et puis on frappe a la porte. Comme souvent le soir, quand mon voisin du dessus rentre bourré et qu'il s'amuse a tambouriner contre ma porte, ou encore quand ma voisine agacée vient me demander de ne pas faire marcher la machine à laver au beau milieu de la nuit. Elle sera plus embêtée, la machine crache de l'eau. Alors j'écrase la mort à peine consumer pour me laisser tomber pieds nus dans l'eau, me dirigeant droit sur la porte, bien décidée a envoyer balader ce visiteur qui, oui, tombe au mauvais moment. Je l'attend tu vois. Parce qu'il était le seul à pouvoir venir, et que je me sent incapable de réparer les dégâts toute seule. De toute façon je m'en fout, à partir de demain, je revends la machine à laver. A moi les lavoirs et le savon de marseille, c'est plus écolo. Je soupir, mes doigts s'abattants sur la poignée. "Oui je sais, y a de l'eau sur le palier, mais vous voyez je..." Mon regard se redresse brusquement. Ma voisine ne ressemblait pas à ça la dernière fois que je l'ai vu. Moins poilu surement. Devant moi se dresse mon mari. C'est drôle. Ce mari qu'a l'air d'avoir envie d'être n'importe où sauf ici. Qu'il aille se faire voir, moi non plus je veux pas de lui ici. Il a qu'a gueuler contre la machine à laver. "Je pensais pas que c'était toi. La machine est là-bas."

Au volant de ma caisse, de mon épave, je ne peux m'empêcher d'avoir envie de m'envoyer des claques. Ma prise sur le volant se fait plus forte, mes dents se serrent, mes sourcils se froncent. Stupide ride du lion. Je ne devrais pas être là, je ne devrais pas être derrière mon volant à me diriger vers cet appart, son appart. Je devrais m'être débarrassé d'elle depuis le début, l'emmener signer deux trois papiers, qu'on puisse être libre de ne plus jamais se revoir. Jamais. Mais j'ai faillit, j'ai fait le con. Et apparemment, je le fais encore. Voilà que maintenant je rapplique au moindre coup de fil. Pas d'hésitation, je me suis jeté dans ma caisse, j'ai tourné les clefs sans sourciller. Il me fallait être là au plus vite, il le faut encore, toujours. Je me gare en deux deux, créneau fait à l'arrachée, mais je me débrouille plutôt bien. Je grimpe les quelques marches deux à deux et ma main finit par s'abattre sur la porte, trois coups saccadés. Y a de l'eau partout dans le couloir et je me demande comment elle a pu se débrouiller, je me suis marié à la fille la moins douée du coin, forcément. Cette pensée m'arrache un sourire bref puis mon visage retrouve ses traits durs, froids. Je me suis marié putain, s'il y a bien une chose dans ma putain de vie que j'aurais aimé éviter, c'est ça. Et voilà que je me jette dans ce bordel sans un regard en arrière, conneries. La porte s'ouvre sur elle, ma femme, qui commence à raconter un bordel que je ne comprends pas. Je retiens mon sourire sarcastique, me contentant de la fixer sans la moindre expression. Puis ses yeux se lèvent vers moi et la surprise les éclaire, elle est jolie. Belle même. C'est au moins ça, je me suis pas marié à un thon, c'est rassurant. "Je pensais pas que c'était toi. La machine est là-bas." J'hoche la tête lentement, les lèvres réduites à un trait fin. "Très bien." Je m'avance dans l'appart jusqu'à poser mes mains sur cette bouffonne de machine à laver, incapable de fonctionner correctement. "Alors, hum, comment tu t'es débrouillée pour foutre tout ce bordel?" Bordel, le mot est faible, je suis trempé jusqu'aux genoux, adieu mes vieilles new balance. Mes yeux balayent l'environnent, si je m'écoutais j'appellerais un réparateur et ce serait réglé avec un billet assez lourd mais dans cette vie, ma nouvelle vie, on lâche pas des billets au premier venu. Et on répare la machine à laver de sa femme tout seul, comme un grand.