La môme aux cheveux sombres, elle lui a soufflé quatre heures. Des aiguilles, la course, il n'a pu décrocher son regard. L'impatience du cobaye face à l'expérience dont il sera le bénéficiaire. Une promesse de changement, comme quoi elle lui apprendrait la vie. En mieux, grâce à cet élément salvateur se présentant sous le noble nom qu'est l'extraversion. Son œil violacé ne s'est toujours pas fait la malle. Bordel, de quoi j'ai l'air. Tu m'étonnes que j'suis qu'un putain d'asocial.

Impossible. Tout bonnement impossible. C’était à se demander ce qu’il lui passait par la tête. Aylana avait toujours eu le don de s’adonner à des causes perdues ou du moins presque perdues. Nohaa en était la preuve vivante. Néanmoins, la jeune femme n’avait encore aucune idée quant à la façon dont elle allait s’y prendre pour le sociabiliser un peu. Ils étaient les extrêmes opposés, tout le contraire l’un de l’autre. « Allez, fait un effort. Tu marches la tête haute, l’air sûr de toi et surtout, tu souris. Les gens viendront tout de suite vers toi. » Elle avait conscience que c'était facile pour elle mais pas forcément pour les autres, encore moins pour lui. Même petite, elle n'avait jamais été timide, ca venait tout seul pour sa part.

Une consigne presque écolière, tant elle se dénude loin des difficultés. Brute de décoffrage, encré dans un ailleurs, le voilà qu'il se doit d'être confronté au monde ; un saut de l'ange en trois secondes deux douzièmes. C'est trop rapide. Trop brut, il a le cœur tremblant, résonnant d'ardeur et de peur. La foule. Ô horreur ! Non jamais! « T'es sérieuse ? Tu m'voies me ramener, la bouche en cœur, dans fleurs dans la poche arrière avec mon œil frappé d'orgueil, tout violet là ? » Soupire las. « C'trop facile lorsqu'on a une tête à être bien dans la société. Mais moi, j'risque de causer une attaque si jme ramène comme ça! »

j'avance dans la rue en remuant mes fesses au rythme de la musique. pas d'écouteurs aux oreilles, pas de mp3 ni de téléphone. pas besoin de tout ça. la musique, elle est là, dans ma tête. dans mon cœur. la plus belle des musiques. bătăile inimii mele. le boum boum qui emmène mes hanches à travers les gens. ils me regardent bizarrement, les gens. peut-être parce que je danse toute seule. ou alors parce que je suis en jupe et soutien-gorge. fute, aucune loi n'interdit ça. rien ne m'arrête. à part quand je tape dans une chose. un quelqu'un ? je me retourne. et je vois son œil violet. « DRACULUI » ah, j'suis pas dans l'aise, là. « pardooooon c'est moi qui a fait ça à toi ? » je montre son œil et je fais la grimace. j'ai mal pour lui.

Il aurait voulu déblatérer encore un peu, mais sa tentative, avortée en beauté par un corps étranger, par un quelque chose, quelqu'un ?, l'ayant sauvagement percuté. Encore quelqu'un en voulant à sa peau ? Il s'agit d'une jeune femme mordorée. Comme une pluie dorée sur son passage, comme celle qui émane des femmes. Oui, ces choses-là, avec deux jambes, deux bras et tant d'autres choses qu'il serait indécent de citer. C'est un mot, en est-ce un ?, qu'elle clame. Pris au dépourvu, il fait trois pas en arrière, trois pas en avant, deux pas le côté, et encore deux pas sur le côté, comme dans les comptines d'enfants. Comme Barbie, Shakespeare n'est pas son ami. Peut importe, toutes les roses ne sont pas la sienne. Puis, elles sont pas toutes en soutien-gorge dans la rue. Oh, rien qu'à cette perspective, qu'à sa sublime nordique si peu vêtue, oh... « N... » Parvient-il à émettre. « C'pas...» Il s'est tue.

je comprends pas tout ce qu'il se passe. le blessé a l'air bizarre. encore plus bizarre que moi, et ça fait beaucoup. je suis déjà beaucoup bizarre moi, ils disent, les australiens. juste parce que je parle pas bien, parce que je mets pas beaucoup de vêtements, que je danse sans la musique et que je conduis sans le permis. eh ben j'ai plus bizarre que moi. devant mon nez, sous mes yeux. lui, l'œil violet qui bouge et revient où il était. bien bizarre. je suis normale moi devant lui. en plus il parle presque pas. moi je comprends pas. « tu peux dire si j'ai fait mal à toi, je soigne, ok ? » ou pas ok. je mets mon doigt tout doux au coin de l'œil. « comment tu l'as fait ça ? » je sais un peu que c'est pas à cause de moi.

Non, ça n’allait définitivement pas être de tout repos. Mais il en fallait un peu plus pour qu’elle renonce à sa mission. Et puis là, une fille débarque. Au moins il pourrait parler avec quelqu’un d’autre sauf qu’il aurait mieux valu qu’elle n’ouvre pas la bouche. En plus elle se balade à moitié nue dans les rues. Surement parce qu'elle est joyeuse ou alors elle a juste oublié ce qu'est un tee-shirt. Cette chose que les gens mettent pour ne pas sortir seins nus. « Eh, t’as pas quelqu’un d’autre à faire chier ? » Sociable ? Oui mais pas nécessairement avec tout le monde. Maintenant ça allait être encore pire qu'en temps normal. C'est à peine s'il allait regarder les autres dans les yeux. Déjà qu'il ne le faisait pas vraiment alors à présent c'était presque inespéré.

La dernière fois qu'une femme l'a soigné, il avait dix, onze ans, sans doute un peu plus, ; cet évènement fut mémorable, marqué par la découverte d'une dureté tout autre, croyez-moi, que celle du caractère. Bien évidement, il cessa immédiatement d'aimer les femmes, se disant que c'était bien trop dangereux si ça pouvait faire ça, puis il s'est rendu compte que les hommes aussi, pour finir, bien des siècles plus tard à se rallier à sa première cause. « Vais bien, c'pas toi. » Nohaa parvient à déblatérer. Pauvre gosse. Puis, y a la môme brune qui fait des siennes. « Un gars me l'a fait. » avoue-t-il, gêné. Tu m'étonnes, ça fait pas très homme de se faire péter la gueule pour ses antécédents de pédale.

je veux aider le garçon blessé. il dit que c'est pas moi qui ait fait ça, et heureusement. mais une fille m'agresse. je suis pas australienne, mais je reconnais quand on me parle mal. elle m'énerve. je l'aime pas. je la regarde mal, en colère. « tâmpit » je chuchote. « non, j'aime faire chier toi » je souris, méchante. et je me retourne vers le garçon. se faire taper c'est pas cool. « tu as problèmes ? tu dois défendre toi » c'est un petit garçon si il se bat pas. sinon, il serait un homme. c'est adorable les petits garçons. je souris, il semble gentil.

Il y en a vraiment qui mérite des paires de claques. Non vraiment. Elle se prend pour qui elle ? Heureusement pour elle qu’Aylana est un minimum civilisée sinon elle s’en serait déjà pris une. Non, j’aime faire chier toi. Alors continue parce que tu es bien partie. « T’y arrives, bravo ! » Quel sarcasme. Néanmoins il y avait tout de même un point positif : elle s’intéressé à lui. Elle ne l’avait pas abordé de la meilleure façon qui soit mais c’était déjà ça. Et contrairement à ce qu'elle pensait, il lui répondait. Ses réponses étaient courtes certes, mais c'était mieux que rien. Du coup, pour une fois elle resta sans rien dire à les laisser se débrouiller.

Comme un peu d'électricité dans l'air. Heureusement, les femmes c'toujours plus civilisées que les hommes, donc les mots, les signaux faibles seront leurs armes. Manières d'autant plus tranchantes, destructrices. Moins sauvages, seule contrepartie positive, sans doute. Le môme Noha prête guère attention aux paroles proférées, comme si de toute manière, elles n'avaient pas la moindre importance. Des problèmes ? Des tas, le plus majeur, c'est sans doute lui-même. Parait-il qu'il possède une tête à claque, une sorte d'aura qui fait que tout le monde veut se défouler sur sa gueule. « Jpeux pas expliquer, jsais même pas en fait. » Trop de mot en une seule tirade. « Peux pas me défendre, tu sais, jsuis pas hyper bon dans ce domaine... » et à quoi bon ? termine-t-il pour lui-même.

j'écoute plus ce que dit la fille. j'ignore. c'est mieux. sinon je vais crier, et la taper si elle continue. j'aime pas quand j'aime pas les gens, mais j'ai pas le choix avec elle. elle mérite pas que j'aime. alors je préfère écouter le garçon. oh, je sais même pas comment c'est son nom. « c'est triste » se faire taper sans raison, c'est triste. se faire taper c'est triste. je suis triste pour lui. « si tu sais pas défendre toi, alors prends un.. euh.. » ah, mais comment ils disent ça, ici ? je connais pas. « un pschit au poivre, comme ça personne il te tape » je fais un grand sourire. je voudrais que ça l'aide pour plus que les gens le tapent. il a l'air gentil. il mérite pas les coups. « ou sinon tu prends garde du corps » je dis en rigolant.

La politique de l'autruche, tactique universelle. La môme à demie nue, un peu nymphe un peu autre chose, elle a les mimiques de l'enfance. La candeur qui affleure, un peu de bonheur dans chacune de ses veines ; ça doit être pas mal cet état d'esprit. La tristesse. « Ouai. » Elle cherche ses mots. Nohaa sait pas trop ce qu'elle veut dire, mais il calcule quand même l'idée. Un répulsif à con, voilà. Au poivre, apparemment. Le gosse pourtant, il a pas envie de rendre ses coups et blessures, trop peu de couilles ou de foi pour ça. Elle rigole, comme une poupée de jadis qui rit lorsqu'on tire sur une ficelle. Un garde du corps. « Ouai, bonne idée. » pourtant, il ajoute : « Même un garde du corps finirait par me taper, jsuis insupportable. »

je regarde le garçon avec mon grand sourire sur mes lèvres. je perds pas mon sourire, jamais. sauf si on m'énerve. mais j'aime pas perdre mon sourire. j'aime sourire. c'est joli, quand on sourit. c'est heureux. ça fait plaisir aux gens. ça met tout le monde de la bonne humeur. je comprends pas bien pourquoi il dit ça. mais je le connais pas, en fait. que depuis quelques minutes. je mets ma main dans ses cheveux, je caresse doucement, je souris pour rassurer. « moi je trouve toi très gentil » c'est pas juste de se faire taper quand on est gentil comme lui. « peut-être si tu parles toujours gentil aux gens et tu souris, ils taperont pas toi ? » peut-être les gens sont plus civilisés en australie qu'en roumanie. « en roumanie les hommes défendent eux et les femmes, tu peux apprendre à défendre toi ? »

Elle a sa main dans ses cheveux, et des paroles réconfortantes. On dirait sa mère, sa douce maman, quand elle était encore maternelle et pas si froide de long en large. Elle a le sourire généreux, du genre qui me du baume au cœur. Il veut pas savoir son prénom, car dans sa tête, il a juste envie de l'appeler maman. maman par-ci, maman par-là. Ça lui va vraiment bien, même si, ce serait trop cingler de penser ça pour de vrai. « Je souris juste à l'amour de ma vie. Elle est belle. » Une rose aux pétales fragiles. « Elle non plus, elle parle pas très bien l'anglais, mais c'est si joli, si exotique. » Il savait pas que c'était possible une phrase aussi longue de sa bouche aux lèvres tremblantes. « Promis, j’essaierais. » Il le fera jamais, mais c'est beau d'en rêver. « Tu viens de Roumanie ? » question sotte.

quand il dit l'amour de sa vie, je souris encore plus. mais je sais pas si c'est possible encore, je souris déjà très beaucoup. je lâche ses cheveux et je prends ses mains. j'écoute ce qu'il dit. j'ai un peu les yeux étoilés, je crois que ça se dit comme ça. « ooooh tu as copine ? je suis sûre elle est très gentille si tu l'aimes » je veux sauter partout, je suis beaucoup contente pour lui. « elle parle quoi ? » peut-être roumain, comme moi. ça fait plaisir qu'il dise promis, alors je suis encore plus contente. « OUIIIIII ROUMANIIIIIIE » je dis en lâchant ses mains, tourne sur moi-même et tape dans mes mains. « c'est beauuu mais j'aime australie aussi »

Si seulement l'Amour de sa vie était sienne, dans son cœur, un peu de rancœur s’évanouirait. Elle a pourtant l'air de jamais rien comprendre au sujet des sentiments ; les femmes et leur politique de l'autruche! Elle a ses mains dans les siennes. « Elle est gentille, très même. Mais c'est mon amie, juste ça, elle veut juste ça. » La réalité un peu arrangée, mais en somme, c'est ça. « L'Estonien, c'est du nord. » Il se sent bête à parler d'elle, le môme. Il la mérite tellement pas qu'il offense sa personne de ses mots innocents. Roumanie, semble crier son âme, en écho avec sa voix. Ça doit être un chouette pays. Vraiment. « J'aurais aimé voyager sérieux, mais jsuis né ici, j'ai jamais vu plus loin que c't'endroit. » Indiscrétion. « Si c'était si beau, la Roumanie, pourquoi t'en es partie ? »

je serre ses mains plus fort, comme il dit ça. ça fait de la peine à mon cœur, pour lui. « c'est triiiiiiiiste mais tu as beaucoup chance d'avoir en amie quand même » je mets ma main sur sa joue, et je caresse sa peau, je souris. je veux pas voir triste. « toujours voir bon côté, toujours » je laisse ma main là. « oui, vers roumanie, un peu » un petit peu. on parle roumanie, alors je suis un peu dans nostalgie, un peu triste, beaucoup heureuse. « tu dois faire comme moi, prendre caravane, et partiiiiiiir, moi j'ai vu grèce, turquie, irak, inde, pleeeeein plein plein c'est bien » mes yeux mouillent un peu quand il demande pourquoi je suis partie. j'aimais beaucoup. et la famille manque un peu. « je voulais découvrir tout le monde entier » j'hausse les épaules, et j'essuie mes yeux. je souris. « j'aime australie, je partirais pas »

Elle a pas vraiment tord, la maman. Ça pourrait être pire, elle pourrait l'ignorer en plus de cela, le dénigrer tout à fait. Au moins, il se satisfait de sa présence. « T'as raison. » Ça lui ferait du bien, à Nohaa, de voir le bon côté des choses pour une fois, de voir le verre à moitié plein. Les voyage. Il aurait aimé pouvoir s'enfuir, mais trop de choses, l'Amour!, le retiennent ici. « J'aimerais bien connaître la France, surtout que je le parle un peu, le Français. » Enfin, il sait parler Rimbaud et Baudelaire. Elle a l'eau aux yeux. Il s'en veut d'avoir demandé pourquoi, il a toujours le chic pour pour faire des gaffes. « Oh, oh, désolé, j'aurais pas du parler de ça. »

je souris. il doit toujours être content de quoi il a. sinon, il toujours être triste parce que jamais rien va être assez. france, je connais pas beaucoup. je connais que quand les roms ils ont voulu aller et ils ont dû rentrer vite pour pas faire prison. « c'est beau français ? tu peux dire un quelque chose ? » j'ai les étoiles aux yeux. j'adore entendre nouvelles langues. j'enlève l'eau à mes yeux. « ça fait pas l'importance » je fais grand sourire. « la famille manque, ça fait longtemps j'ai pas vu eux.. tu as frères et sœurs toi ? »

Oh oui, le français, c'est magnifique. Surtout la poésie, et puis il a des vers sur la langue, il pourrait bien en réciter un. (Dis comme ça.) Le môme, il se passionne pour Verlaine, quand bien même il n'est pas aussi reluisant pour certain que son amant Rimbaud ou même l'illustre Baudelaire, mais pour Nohaa, c'est déjà bien assez. « Car elle me comprend, et mon coeur transparent pour elle seule, hélas! cesse d'être un problème pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême, elle seule les sait rafraîchir, en pleurant. » il marque une pause, comprenant l'ampleur de telles paroles dans son cœur : elles lui évoquent Barbie. « C'est d'un poète qui s’appelle Verlaine, et sérieux, le français c'beau que dans les poèmes. » Frères, sœurs. Fratrie. Famille. Pas vraiment, non. Sans doute voulait-il pas vraiment dire qu'ils sont tous morts. Sous terre, sous nos pieds. « Ils sont partis. »