Le retour du festival a été un peu dur, je dois bien l'avouer, surtout à la reprise des cours. J'avais prevenu mes étudiants que j'allais partir, et je pense qu'ils ont bien du rire de ma tête lorsque je suis revenu. Bon, j'ai de la chance qu'ils soient plutôt sympas, ils n'ont pas cherchés à me mettre mal à l'aise, au contraire. Une fille m'a même dit que j'étais toujours aussi canon ! J'ai souris, mais n'ai rien tenté, pour une fois. Bref, ce matin, la journée ne commença pas comme les autres, le directeur m'ayant convoqué dans son bureau pour me faire part d'un projet. Un cours d'histoire, mais pas dans notre langue. Au début, j'ai cru à une blague, mais en voyant son regard, j'ai compris que non. J'ai accepté, n'ayant de toute façon pas le choix, et il me donna le numéro de classe où devait se trouver mon collègue pour le projet, celui qui se chargerait de la partie "histoire" si j'avais bien compris. Du coup, j'ai cherché la salle, n'ait pas prit la peine de frappé, et suis entré. Mais au lieu de dire bonjour, j'ai ris, en voyant mon collègue. Nan, elle est où la caméra cachée ?

Wilhelm s’était doucement remis du festival. Il était même rentré un peu plus tôt afin de préparer un nouveau programme, novateur d’après le directeur du département histoire. Seulement, alors qu’il pensait avoir carte blanche là-dessus, on lui imposa à sa grande surprise de travailler en équipe avec une autre professeur. Un certain monsieur Blackstone. L’allemand tenta comme un beau diable d’imposer sa vision des choses mais face à son supérieur hiérarchique, il fit chou blanc. Il avait rendez-vous à 11h dans une des salles de l’université avec ledit professeur. Il ne s’en réjouissait pas, vraiment. Finalement, il quitta le bureau sur les dents. Il s’arrêta à la machine à café, évidemment, afin d’y prendre un expresso, simple, sans sucre. Et puis, contraint et forcé, il se rendit à son rendez-vous informel. Il n’attendit pas bien longtemps avant de découvrir l’identité de son mystérieux collègue. Il le connaissait bien, ça oui. Un emmerdeur de première catégorie. Il leva les yeux au ciel, quasi désespéré, avant de le dévisager, ni plus ni moins. « Tu peux me pourrir mon festival si tu veux mais ça non. » Il termina son café à la hâte avant de s’extirper de son bureau improvisé. « Tu peux retourner d’où tu viens. Je ne peux pas travailler avec toi. Impossible. »

Je n'arrivais pas à croire que le collègue avec qui je devais bosser était ce mec là. Je l'avais rencontré justement au festival, et je peux facilement dire que cet homme est un con fini, irrécupérable. Je me rappelle m'être prit la tête avec lui durant un des concerts, et en plus de quelques insultes, les coups ont fusés. à cause de lui, j'ai un magnifique bleu au niveau des côtes ! Pourrir ton festival ? La faute à qui ? Il se dirigeait vers la porte, et une partie de moi était soulagée. L'autre me criait que du coup, c'était un échec, et que le directeur viendrait me prendre la tête avec son plan qui n'aura pas pu être en place. Et crois moi, ça ne me plait pas non plus, mais je crois que tu n'as pas comprit une chose. On a pas le choix. J'ai haussé les épaules avant de prendre place sur le bureau, croisant les jambes en tailleur. Oh, quoi que... Va dire au boss que tu quittes le projet, il me mettra quelqu'un d'autre, et tout le monde sera content ! Je lui ai souris, priant intérieurement pour qu'il accepte, et que je sois enfin tranquille sans être pénalisé.

Il ne connaissait pas son prénom et il ne voulait pas le connaître. Il en avait suffisamment vu au cours de ces derniers jours en sa compagnie. Compagnie forcée. Le brun avait planté sa tente à quelques mètres à peine de la sienne. Au début, il ne s’en était pas soucié mais très vite, le festival avait tourné au combat de coqs. Les insultes, bien sûr, mais aussi quelques coups. Ils en étaient venus aux mains et plus d’une fois. Blackstone avait troublé son sommeil, les festivaliers allaient et venaient depuis sa tente jusqu’à pas d’heure. C’était insupportable. Alors ouais, il avait saccagé sa tente durant son absence, aussi. C’était comme une guerre ouverte. Wilhelm haussa les épaules, il ne se sentait pas responsable, du moins, pas entièrement. Il fit semblant de prendre le temps de réfléchir. « Aucune idée. La tienne ? » Il esquissa un sourire avant de fermer la porte derrière son nouveau et très étrange collaborateur. « C’est le moins qu’on puisse dire ça. » Il se retourna, surpris de voir l’enseignant prendre ses aises. « Pour ta gouverne, je brigue le poste de directeur du département histoire. J’ai l’air de quoi si je quitte le projet à ton avis ? D’un incapable. » Il passa une main sur sa nuque pour se calmer. Il essayait de se rassurer mais l’homme en face de lui, non, vraiment, il ne le sentait pas.

Je ne voulais pas vraiment me conduire comme lorsque nous étions au festival, tout simplement parce que ce n'était pas la même atmosphère. Oui, j'avais détesté cet homme lors du festival, qui me cassa vraiment mes jours de vacances. Oui, je lui avais rendu la vie infernale pour me ranger, et j'en étais très fier, surtout lorsque je l’espionnais pour voir ses réactions. J'en ai pris plein la gueule, lui aussi, mais j'avais bien rit. Mais voilà, cet épisode était passé, et même si je ne l'aimais toujours pas, je ne pouvais pas continuer ma vengeance. Du coup, je n'ai pas relevé le fait qu'il dise que c'était de ma faute. C'était de la sienne, mais je me suis tue. Si ça pouvait lui faire plaisir ! bon en tout cas, il n'avait pas l'air heureux, et je revoyais ses airs de mec coincé et pas content, ce qui du coup, me fit sourire. J'avais l'impression d'avoir le dessus, même s'il n'y avait aucunes raisons. Et tu as peur qu'ils se rendent tous compte de ta véritable nature ? Je souris, et jette un oeil aux dossiers sur la table. Je ne cherche pas de promotion, mais je ne compte pas abandonner le projet. Tu vas devoir me supporter, collègue. Et je ne sais pas pourquoi, mais je sentais que ça allait être drôle, sans que j'ai à le chercher pour une fois.

Blackstone l’ignora. Peut-être allait-il se montrer professionnel ? Ou peut-être pas. Mais Wilhelm était coincé, il ne pouvait décemment pas mettre son adversaire hors d’état de nuire. Il ne pouvait pas le menacer. Il se contenta de faire les cent pas, ou presque, devant le bureau. Il ne voulait pas travailler avec lui. Toutefois, l’enseignant avait soulevé un poids important : ils n’avaient pas le choix. Wilhelm se ravisa non sans mal. Ne pouvait-il pas adopter une attitude professionnelle ? Tous les deux ? Faire semblant de se respecter mutuellement ? Il était coincé avec lui, il allait devoir faire avec. Pourtant il hésitait sensiblement, pour la simple et bonne raison que l’homme face à lui ne lui inspirait pas confiance, pas du tout même. Pire, il continuait son numéro de cirque. Wilhelm le fusilla du regard. « C’est toujours mieux que ta nature de branleur, crois-moi. » Il le toisa du regard avant de prendre une chaise derrière lui. Il n’allait certainement pas regarder ces dossiers sans lui. Il ne comptait pas lui laisser les lauriers. Il s’installa juste en face de lui et le dévisagea. « Tu enseignes quoi au juste, collègue ? » Il avait lancé ça avec dédain. Il avait du mal à l’imaginer enseigner une quelconque matière ici pour tout dire.

Le dossier était étonnement rangé, et sans que je le dise tout haut, j'avoue que c'était un point pour lui. Un tout petit point. J'ai a peine attrapé le tout qu'il s'approche pour s'asseoir à côté de moi, comme pour surveiller. Ok, à ce point là, c'était grave quand même. Quand il me qualifia de branleur, j'ai souris. S'il savait ! Mais j'avais de bons résultats, tout en offrant le minimum, et surtout, que des trucs que j'aimais partager avec les élèves. Donc non, ça ne me gêna pas. J'arrive même à me concentrer un minimum en lisant la première page, ignorant délibérément sa question jusqu'à ce que j'ai fini mon paragraphe. J'hausse un sourcil. Je te croyais plus futé que ça. Je tourne la page, et reprend ma lecture. On doit donner des cours d'histoire dans une autre langue. Tu enseignes l'histoire, doooonc ? Je laisse un petit blanc exprès. J'enseigne les langues ! CQFD. Et je baisse ma tête, continuant ma lecture. Il a bien comprit le truc, mais tout ça fait trop... scolaire. Je suis plus un mec qui y va au feeling, sans se prendre la tête, et en prenant en compte l'avis des jeunes. Je suis presque impressionné par ton organisation. Presque. Ouais, c'était un compliment mine de rien ! mais léger, attention.

Il ne dit rien, il se contente de lire la première page de ma production. Wilhelm sait que son dossier est béton. Il est encore incomplet, la faute à ce contretemps regrettable, mais il a fait ça sérieusement. Pour tout dire, il envisageait de donner ces cours lui-même, en allemand, évidemment. Ou en français, pourquoi pas. Mais non, même pas. Peut-être qu’il faisait déjà trop d’heures pour son directeur, Wilhelm se tuait littéralement à la tâche depuis son divorce et il n’était pas sans l’ignorer. Il ne quittait jamais l’université bien longtemps, même pour rentrer chez lui. C’était triste mais il ne s’en plaignait pas. Le brun termine la première page et sans prendre la peine de le regarder, affirme être un professeur de langues. L’allemand s’adossa bruyamment sur le dossier avant de lever les yeux au ciel. Evidemment qu’ils étudiaient les langues mais lesquelles au juste. « In welchen sprachen ? » Wilhelm chercha son regard, histoire de le faire décrocher quelques secondes de ce dossier. Il ne pouvait pas donner un cours sur la Révolution française en japonais. Il devait en savoir plus pour préparer ce cours. Avoir un compliment de la bouche de Blackstone. En voilà une surprise ! Wilhelm croisa ses bras contre son torse avant d’esquisser un sourire. « Mais ? » Oui, il devait avoir un mais, forcément.

Son dossier est vraiment bien, et je suis prêt à l'admettre. Mais où était l'amusement ? Où était le fun ? Est-ce qu'il était ce genre de professeur, à faire ses cours intelligemment, sans se soucier de ce que les élèves pensent ? Parce que là, clairement, ils ne vont faire que copier le cours sur une feuille, qui va finir en vrac dans un sac, et qui va se retrouver à la poubelle dans la semaine. Je relève mes yeux du dossier lorsqu'il me parle. Pas parce que ce qu'il dit est intéressant, mais parce qu'il me parle allemand. Oui, là, je suis un peu impressionné. C'est rare, par ici. Un grand sourire aux lèvres, je lui répond. Anglais, Français, Allemand, Espagnol, Portugais. Et j'ai quelques bases de Russe et de japonais. Et j'ai acheté de quoi me mettre à l'hawaïen, j'ai toujours voulu passer des vacances là bas. Ah, Hawaii... BREF ! Je n'allais pas m'étaler là dessus. Et toi, mis à part l'allemand ? Bon ok, c'était déjà bien, mais je posais la question au cas où. Il me fit sourire aussi quand il prononça le simple "mais". Oui, il y avait un mais, et un gros. Bah, tu as pas peur que les jeunes se fassent chier ? C'était clair et précis. Je n'étais pas là pour lui étaler de la pommade. Je disais ce que je pensais, et j'espérais qu'il ne se mette pas à crier au scandale.

Finalement, il décroche enfin de ce dossier. Il était temps. Wilhelm ne s’attendait peut-être pas à ça. Comment Blackstone faisait-il avec toutes ces langues ? Ces règles de grammaire ? Ces maudites exceptions ? Non, l’allemand était abasourdi, seulement, il ne se laissa pas aller aux louanges. Après tout, Blackstone ne pouvait pas enseigner ici par hasard. Heureusement, il n’avait pas à rougir devant lui. Avoir cinq thèses à trente-cinq ans relevait du miracle dans son milieu et il n’en était pas peu fier. Mais il n’avait pas l’intention de se mettre en avant, il était au-dessus de ça maintenant. Wilhelm esquissa un sourire. « J’ai aucun mérite à parler allemand puisque je suis allemand. En dehors de ça je parle anglais, évidemment, et le français couramment. » Oui c’était peu mais il n’enseignait pas les langues. Wilhelm avait retrouvé son calme, enfin presque, les propos du brun l’avaient offusqué. Il était comme obligé de se défendre. Il ne tenait pas une garderie aux dernières nouvelles. « L’histoire repose sur des faits, des dates, je n’invente rien. Mes cours sont sur internet, si ils n’impriment pas, ils peuvent se barrer. Il faut des connaissances affûtées avant d’interpréter. » Wilhelm passa une main dans ses cheveux. Il avait cette étiquette de tyran, peut-être, mais ses étudiants sortaient d’ici avec un bagage en poche. Et puis, il avait une réputation à tenir. « Mais toi tu es le prof sympathique et accessible je me trompe ? »

Pour un professeur d'histoire, il parlait trois langues. C'était rare, et je n'ai aucun mal à comprendre que cet homme veuille le poste de directeur de son département. Après tout, malgré le fait qu'il soit un rabat-joie, je ne pouvais pas nier son intelligence et maintenant que je le savais trilingue, j'ai soupiré. Ça me faisait toujours ça de moins a lui reprocher. Et apparemment il était allemand. Je n'avais aucunes blagues en stock sur cette origine. Donc je suppose que tu as un nom bien allemand ? Façon pour moi de connaître son nom, par la même occasion. Et comme je l'avais prévu, il s'emporte presque, essayant de me prouver qu'on ne rigole pas avec l'histoire, et ce genre de chose. Mais ça devait être profondément ennuyant du coup ! Je plaignais ses étudiants. Sa supposition sur moi fut juste, me faisant de nouveau sourire. C'est exact. Ils me disent ce qu'ils veulent, et je fais en fonction. Il m'était déjà arrivé de faire tout un cours de français sur les phrases pour draguer, histoire qu'ils puissent s'amuser lors de leur voyage scolaire qui approchait. Ils viennent a mes cours parce qu'ils ont envie, pas par obligation. Je doute que les tiens viennent, si tu rends les cours facultatifs... Bref, vu qu'on doit assurer ce cours a deux, j'ai mon mot a dire ! Donc je veux une part de fun parmi... Tout ça. Je lui rend le dossier, j'en ai assez lu.