J'ai toujours été le genre de fille à faire la grasse matinée au moins jusqu'en début d'après-midi. Seulement ce matin, pour une raison inconnue, je me suis levée à une heure matinale. Peu de temps après que le soleil ait fait son apparition. En sortant de mon hôtel, j'ai pu profiter de la fraîcheur du matin et des quelques rayons qui venaient réchauffer ma peau frissonnante. J'ai marché durant une bonne demi-heure en visitant un peu l'endroit que j'avais choisi au hasard sur la carte avant de grimper dans le premier avion en direction de l'Australie. Les paysages étaient pas mal et même si d'habitude, j'évite les villes touristiques, je devais bien avouer que celle-ci était pas si mal que ça. Au final, je suis entrée dans un café qui faisait aussi office de pâtisserie. je me suis assise en terrasse, j'ai commandé mon croissant au beurre et mon café noir avec de la cannelle. Je regardais les gens qui allaient et venaient jusqu'à ce que le serveur m'apporte mon petit-déjeuner. Tout se passait bien jusqu'à ce que Priam apparaisse dans mon champs de vision. J'ai eu l'envie soudaine de me cacher sous la table mais je me suis dit que ça foutrait un coup à ma fierté démesurée. Alors pour le coup, j'ai prié pour qu'il ne pose pas son regard sur moi ou mieux encore, qu'il ne me reconnaisse pas.

C'est comme un craquement après l'éternel silence, un foutu pincement au coeur. Il diffuse un poison amer et des souvenirs encore trop récents. Disparaître, s'envoler et s'oublier, c'est facile. Je sais faire. Rester. Continuer. Avancer. Je sais pas. Le bleu de son regard à lui se perd dans la noirceur du mien. La culpabilité me crache à la figure et des vertiges muets m'emportent loin d'ici. Mes phalanges s'agrippent à la tasse, à l'image d'une bouée de sauvetage, d'une corde pour combattre la chute. Mes lèvres touchent la porcelaine et la brûlure du liquide trop chaud coule dans ma trachée ; je m'attendais à ce que ça me réveille de ce cauchemar mais non, je suis toujours là. Toujours assisse à cette terrasse. Toujours piégée par l'oublié. La rature de jeunesse, l'erreur inhumaine. « Bon sang.. Jon ? » Puis il y a ce long silence qui s'installe et se niche dans le creux de l'espace qui nous sépare. Je repose ma tasse, soupire et visse mon regard dans les siens à nouveau. Comme des flèches atteignant leur cible. « Priam. » Les mots restés coincés se plantent comme des épines dans ma gorge. Il y a l'animal, l'issue de secours. L'idée d'ignorer le sujet me dévore. Je fuis encore, cette fois avec les mots. « Ton chien est magnifique. » Au fond, on s'en fout. Meubler la conversation inexistante. Effacer les erreurs comme si elles n'avaient jamais existé.

Il y a de la froideur dans le regard de Priam. Comme une amertume que le temps n'a pas réussi à effacer. Pourtant mon regard continue de s'immiscer dans le sien, parti à la recherche de souvenirs abandonnés. La culpabilité était palpable, je la sentais rugir dans mes veines, gronder dans les artères qui dessine le circuit de la vie dans mon corps. Elle commence à me ronger mais mon impassibilité reste présente, comme une armure. Comme une protection. Mais de quelle protection aurais-je besoin face à Priam ? Je sais que c'est un mec bien, qu'il mérite d'être heureux. Je sais que je n'ai pas été correcte, que dans l'histoire je suis la seule à blâmer. La plupart des gens ont du mal à accepter la douleur. Moi, j'ai du mal à accepter le bonheur et c'est ça qui me donne envie de courir, jusqu'à en perdre mon propre souffle. « Pourquoi ? » Parce que tu es certainement trop bien pour moi. Parce que je t'aurais blessé tôt ou tard. Tu sais, j'ai du mal à faire sourire les autres et pourtant j'aimerais savoir le faire aussi bien que toi. Mais ma voix restait bloquée dans son silence. Peut-être qu'il verrait quelque chose dans mon regard. Peut-être qu'il décoderait l'aphonie mais ce n'est qu'un homme. Non, il n'est pas magicien. Il n'est pas télépathe. « Assied-toi. » C'est l'invitation. Une preuve que cette fois, je ne m'enfuirais pas. La confusion m'embrouille, j'ai les mains qui tremblent un peu et des vertiges qui me propulsent contre la réalité. « Parce que je suis lâche. Pour quelles autres raisons je me serais enfuie, Priam ? » Le malaise et l'inconfort qui se propage dans l'air. Je n'aime pas tout ce sérieux. Je n'aime pas le goût des sentiments que j'ai abandonné.