L'Australie et son trou au-dessus de la tête ! Haha, on était loin des nuages londoniens qui vous douchaient entre deux rayons de Soleil. Karl ne s'y ferait probablement jamais, ce qui ne l'empêchait pas de porter un vrai pantalon. Le genre qui vous couvrait les jambes en entier. Avec une chemise perfect fit repassée avec soin. Bon, d'accord, il avait trois boutons défaits et les manches retroussées jusqu'aux coudes histoire de paraître plus décontracté... et surtout d'avoir un peu d'air. Café frappé dans un gobelet américain à la main, il déambulait dans le centre commercial. Le lèche-vitrine, c'était un passe-temps bien sympa, et pas que pour les gonzesses ! Et puis, il lui fallait une nouvelle paire de lunettes de Soleil, autant joindre l'utile à l'agréable.

On s'entend sur ce point : faire du lèche vitrine, c'est passionnant. Surtout lorsqu'on est une jeune femme et qu'on évolue dans le milieu des célébrités. Leah aimait suivre les tendances modes, et même si elle s'était un peu calmée niveau dépenses, elle adorait venir faire les boutiques dans l'espoir de trouver des trucs en solde. Aujourd'hui, elle avait un objectif bien précis en tête : se trouver une robe pour aller à un spectacle musical sur lequel elle devrait écrire un article. Bref, en ce moment, elle marche sans trop regarder où elle va, son attention étant plutôt portée sur l'étalage des vitrines. BOUM. Sans s'en rendre compte, elle a foncé dans un passant qui faisait probablement la même chose qu'elle, et réalise que dans la bousculade, elle a envoyé un café balader par terre. Le liquide se répand alors qu'elle lève un regard désolé. « Oh! Je suis tellement, tellement désolée! Je ne regardais pas tellement où j'allais, et... » Son discours s'interrompt alors qu'elle réalise qu'elle connaît ce visage. « Karl?! »

Aaaaah ! Nooooon ! Son cafééééé ! Il lui FALLAIT de la caféine. C'était urgente. Il était en manque. Panique, panique... Grrrrr !

- Mais vous ne pouvez pas reg...

Il s'interrompit en pleine irritation. La beauté qui se tenait en face de lui l'avait éblouit et d'un coup le reste, y compris la  dose de caféine qu'il n'ingurgiterait pas, lui semblait dérisoire. Ses traits lui disaient quelque-chose, pourtant, impossible de réellement se rappeler... C'est alors que la charmante créature l'appela par son prénom. Sacré nom !

- Leah..., murmura-t-il.

Elle était époustouflante. Il ne l'avait pas vue depuis des années et fiou !! Elle en avait profité pour devenir plus belle encore qu'auparavant ! Une nana comme elle, qui en plus ne manquait pas de cervelle, avait probablement foule d'hommes et de femmes à ses pieds. Il était heureux de la voir si resplendissante et fière de sa beauté qu'elle savait mettre en valeur avec grâce et naturel.

- Je... Co... Que fais tu ici ?, finit-il par demander, ayant complètement occulté la boisson à terre.

À la fois étonnée et ravie de ce hasard, Leah adresse un large sourire à celui qui appartient à son passé. Même s'ils ne se sont pas nécessairement laissés en bons termes, cette histoire est pour elle de l'histoire ancienne, oubliée. Elle imagine donc que c'est réciproque et que Karl ne lui tient plus rigueur de toute cette histoire. « Je vis ici! » Comme un stand de café se trouve à une centaine de mètres d'eux, Leah attrape la main de Karl et se dirige vers l'endroit d'un pas énergique. « Je te rachète un café, viens. » Une fois dans la file d'attente, son regard se pose de nouveau sur Karl. « Mais toi, que fais tu ici? »

Depuis Leah, Karl avait eu d'autres histoires. L'une d'entre elles était d'ailleurs très douloureuse et l'incitait à adopter une stratégie pour éviter cette peine. Soit le déni par le trop plein, en enchaînant conquête sur conquête, soit le déni par le vide, en devenant une coquille sans profondeur d'âme ni de sentiments. A dire vrai il était un peu des deux, cela dépendait des jours.
Lorsque la jeune femme lui prit la main, il se laissa faire. Une petite voix lui hurlait que c'était maaaaal de se faire payer un café par une dame. Très, très peu gentleman. Oui, mais il devait aussi laisser les femmes entreprendre. Alors si elle souhaitait le faire, qui était il pour s'y opposer ? C'était son argent, elle le dépensait comme elle voulait.

- Merci beaucoup !, dit-il en attrapant son gobelet. Je viens d'arriver et prends la semaine prochaine mes fonctions de professeur de mathématiques.

Il trinqua, oui, même avec un café, et en goûta une gorgée. Ouch, brûlant. Sa langue piquerait encore quelques temps.

- Comment vas-tu depuis le temps ? Qu'ais-je loupé ? Il était curieux de tout. Et surtout de savoir si elle était encore célibataire. Huhu.

C'est avec un plaisir sincère que Leah trinque avec Karl, avant de prendre une gorgée de son breuvage. Elle a opté pour un café glacé, ainsi elle ne se brûle pas et savoure pleinement le goût de la caféine et du sucre qui se répand sur ses papilles gustatives. « Tu vis ici?! Le monde est trop petit, c'est dingue! » Ce genre de hasard la réjouit sincèrement, chaque fois qu'une coïncidence du genre a lieu. « Je suis journaliste, enfin! » Parce qu'à l'époque où ils étaient ensemble, elle lui parlait déjà de ses fausses études en journalisme. Il faut dire qu'à l'époque, elle était mineure et toujours au high school, mais cela ne l'empêchait pas de déjà aspirer à sa carrière actuelle... « Enfin, rien de trop sérieux, je bosse pour un magazine culturel électronique. Ça me plaît vraiment. » Nouvelle gorgée de café, puis elle observe longuement Karl, se demandant à quel point il est véritablement intéressé par elle où s'il ne pose cette question que pour être poli. « Et j'ai un enfant. » La bombe!

La conversation démarra tranquilou. Oui, le monde était petit. Vaste, très vaste à explorer ; impossible à comprendre en une vie ; mais pourtant des milliards d'humains qui y vivaient on parvenait à se croiser et recroiser même d'un tout autre côté du globe. Amusant concept, "côté du globe".

- En effet, c'est bluffant ! Mais j'apprécie grandement les heureux hasards. Il poursuivit sur sa carrière : Félicitations ! tu dois en être fière !

C'est alors qu'elle lâcha une bombe -sans larguer de caisse-.
What, what, whaaaat ? Non, Karl ne venait pas de faire défiler le nom d'un Pokémon dans sa tête, il était juste sidéré d'une telle nouvelle. Il manqua de s'en étouffer avec sa boisson !

- De... depuis quand ? Avec qui ? Le père t'a suivie ici ? questionna-t-il plus surpris qu'autre chose.

Leah éclate de rire face à la réaction de Karl. C'est si surprenant, qu'elle soit mère? Bon, il faut dire que la Leah qu'il a connu n'était pas la femme la plus responsable qui soit. Elle lui avait menti sur des trucs pas mal importants, et disons qu'elle avait pu lui laisser une impression amère. Mais pas mal de temps s'était écoulé depuis. « Disons que c'était une surprise, cette grossesse. » Elle fait bien attention à ne pas utiliser le mot "accident", après tout si Jack n'était pas du tout planifié, il reste l'une des meilleures choses qui lui soit arrivé au courant de sa vie. « Il n'est pas ici. Enfin, le père est ici, pas mon fils. Une famille Américaine l'a adopté. » Elle dit cela d'un ton léger, comme si ça ne l'affectait pas outre mesure. De quoi renforcer sa réputation de jeune femme insouciante, j'imagine. « C'était mieux pour lui... », ajoute-t-elle néanmoins, fronçant légèrement les sourcils. Elle boit une longue gorgée de son café, et secoue la tête. « Et toi? Pas d'enfant, pas de femme? »

L'histoire que la jeune femme lui racontait était moins amusante qu'il ne l'avait escompté. Elle était même triste. Si Leah en parlait de façon légère, Karl se doutait qu'elle ne lui disait pas tout. Elle avait le sens des réalités, et un cœur. Les décisions prises s'étaient faites en accord avec ces deux éléments, le tout sous la médiation du bon sens. C'était cela qu'on appelait "être adulte". Mais la vie d'adulte était difficile. Elle impliquait beaucoup de responsabilité... qui n'engageait parfois pas que soi-même.
- Je suis navré de la tournure de ces événements... Est-ce que... Est-ce que tu veux en parler ?
Pour plusieurs raisons, il ne parvenait pas à comprendre pourquoi l'enfant avait été adopté. Pourquoi "c'était mieux pour lui".
- De mon côté... personne de fixe, pas d'enfant... la grande vie !
A vrai dire il était surtout persuadé de ne pas trouver chaussure à son pied, tant les gens étaient poussés à l'individualisme et au désengagement par la société, et ce même dans les plus infimes détails. Impossible donc de trouver le partenaire d'une vie.

Elle est étrangement touchée par la demande de Karl. Il est vrai qu'elle se sent pas mal seule depuis son retour ici, voire même depuis son départ d'Australie qui remonte à pas loin de trois ans. Tout déballer lui ferait le plus grand bien, mais elle n'a pas nécessairement envie de paraître pour une fille qui ne fait que se plaindre. Elle hausse donc les épaules, esquissant un petit sourire en coin. « Merci, j'apprécie vraiment. Je suis également navrée face aux événements... On pourra en parler une autre fois, peut-être. » C'est en silence qu'elle observe longuement Karl, riant doucement. « La grande vie, hein? Elle ne serait pas un peu vide cette vie? » Elle dit cela sans intention malicieuse, mais réalise que ça peut être blessant. « Pardon, ce n'est pas ce que je voulais dire! » Elle rougit, la pauvre.

Bon, la jeune femme ne souhait pas se confier sur l'instant. C'était compréhensible. Karl n'était pas aussi proche d'elle qu'on aurait pu le croire, après tout. Il y a de ces événements et pensées que l'on garde pour l'intimité, celle de l'âme étant encore plus secrète et restreinte que celle du physique. Elle l'interpella alors sur le vide de sa vie.

- Au contraire, elle est remplie..., répondit-il avec un petit sourire en coin alors que son regard était perdu au loin. Il gardait son flegme britannique alors même que ses paroles dévoilaient à demi-mots une réalité des plus obscènes. Quant aux excuses de la jeune femme, il n'y réagit pas. Rien que par sa réplique précédente, il avait botté en touche. Il était facile pour lui de jouer le dragueur, le serial lover, ou au contraire intéressé. Mais lorsqu'il fallait aborder réellement ses sentiments, impossible de compter sur lui. C'était un homme à observer, et non à écouter.
Ce revirement de conversation le fit se refermer sur lui comme une huître ; il en resta muet et songeur, mine assombrie.