la pluie qui s’abat sur le bord de la route juste devant le garage. la lune qui éclaire mal la petite allée désherbée qui mène à l’intérieur. le hoquet d’un moteur qui ne vrombit plus. le crissement de pneus sur l’asphalte. déa tourne la tête. un soupir. le tournevis retourne dans la boîte à outil et la rousse se relève. elle essuie ses mains pleines de cambouis sur son jean. les ampoules pendent au plafond, diffusant une lumière vacillante. un bruit de chaussures qui piétinent le gravier dans l’allée. le grincement de la porte qui s’ouvre. une silhouette s’avance. déa aussi. « vous êtes ouvert ? » « il est une heure du mat’ » « et donc ? » « ben clairement la porte était pas fermée et je suis debout alors ouais, on est ouvert » l’inconnu sourit. « j’ai un problème avec ma caisse » « j’ai entendu » « il est où keirle ? » « elle est là » déa n’attend pas les potentielles remarques sexistes auxquelles elle n'est encore que trop habituée et elle sort. la lumière s’évanouit à mesure qu’elle avance vers le bord de la route où la voiture est arrêtée. elle sent le regard de l’inconnu dans son dos. un cliquetis. sans attendre, déa ouvre le capot. elle cale une lampe de poche entre ses dents et commence à chercher. l'éclat de la lune se reflète sur le vieux moteur sale et la rousse passe en revue tout ce qu'elle sait des voitures. elle en connait des choses, déa, sur les voitures. dans la nuit noire et devant le mystère de ce moteur malade, déa repense aux histoires de son grand-père. ce sont ses préférées. celles qui se passent sur la route, sur une harley ou dans un van à fleurs. celles qui sentent la weed et le gaz d'échappement. celles qui ont les cheveux longs ou un bandana autour du cou. celles qui portent des pattes d'eph' ou pavanent en veste de cuir. celles qui parlent de voyage, de route, d'une bande d'amis et de la liberté. celles où tout est possible si tant est qu'on puisse l'imaginer. elle est envieuse déa. parce que papi a roulé sur les routes de tous les continents, parce que maman a survolé tous les pays, parce que papa a vogué sur tous les océans, parce que le frère se promène encore on ne sait où au bout du monde. elle est envieuse déa parce qu'elle rêve de cette liberté et parce qu'elle en a peur. elle regarde le ciel et les étoiles qui voient tout. elle s'imagine là haut et elle aussi, elle verrait tout. déa, elle aimerait bien avoir ce courage de tout laisser, de partir, d'explorer et de voir, de tout voir. elle est forte, indépendante et débrouillarde et pourtant elle n'est jamais partie. elle est le dénominateur commun d'une famille éparpillée, elle est l'ancre d'amarrage et peut-être que si elle partait, un monde s'écroulerait. qui sait ? elle a peur, ou peut-être que c'est autre chose. elle-même ne sait pas bien. en attendant déa lit. c'est ce que déa voit le mieux: les mots. les mots et ce qu'il y a derrière. elle aime leur puissance créatrice. grâce à eux, déa a visité tous les pays du monde, elle est née partout et elle est morte de mille façons. elle a été multiple tout en restant une. elle a vu les étoiles et ce qu'il y a au delà, elle a connu les hommes, les animaux et les dieux. les mots ne lui font pas peur, eux.
« strider » la voix la sort de ses pensées. la lampe de poche retrouve le chemin jusqu'à sa main. « hm ? » « je m’appelle strider » « déa » « c’est quoi ça comme nom, déa ? » « c’est quoi ça comme nom, strider ? » il sourit encore. elle aussi. elle aimerait faire une blague mais elle se retient. et bientôt c’est lui qui la fait, la blague, comme s’il savait. « mais tu peux m’appeler aragorn » un petit rire qui s’élève dans la nuit noire. un autre, qui suit le premier. la gêne se dissipe et strider a peut-être gagné un diagnostic gratuit. « faut que je vérifie la tête de delco et accessoirement le pot d’échappement. j'vais avoir besoin de lumière » « tu peux m’offrir un café le temps qu’il fasse jour ? »