Chapitre un : La souffrance

Regarder les nuages. Imaginer des formes. Les lunettes sur le nez, le corps allongé dans l'herbe humide. Je passe mes doigts entre les brins d'herbe. J'aimerai y rester des années, et ne jamais me relever, ne jamais retourner à la réalité. J'ai quinze ans, et je suis seule. Seule car mes parents ne m'aiment pas. Seule car mon frère jumeau ne vit pas avec moi. Je dois tout gérer, je dois tout encaisser et ne rien dire. Observer, c'est ce qui me permet de me sentir libre. Avoir l'impression de toucher les nuages. La danse. La danse m'aide à m'exprimer, ce que le langage de ne me permet pas. Je ne suis pas muette. Je n'ai juste pas le droit de dire ce que je pense, ce que je ressens. Chaque jour, je prie pour que mon père ne rentre jamais à la maison. Pour qu'on m'apprenne qu'il est mort dans un accident du travail ou dans un accident de voiture. Mais chaque soir, il rentre. Il me prend par le bras et m'oblige à m'asseoir et à le regarder se prendre pour le roi. A me réduire à sa simple servante. Et ma mère. Elle. Elle ne dit rien. Elle sourit timidement à cet homme qui m'a donné la vie, cette vie minable qu'il s'acharne à rendre des plus douloureuses. J'aimerai que Gavin soit là, qu'il puisse me donner la main et me chuchoter qu'on ira loin. Qu'on s'enfuira, un jour. Et qu'on laissera derrière nous cette vie horrible qui est la nôtre. Mais pour le moment, nous ne pouvons pas. Car il est à l'autre bout du pays, malheureux, seul, lui aussi.
« Andréa lève-toi. Laisse là tranquille! » Tête baissée, je laisse mes larmes rouler sur mes joues. Pourquoi a-t-il été décidé que sur cette terre, plus de gens doivent être malheureux qu'heureux? Pourquoi l'Homme est-il si mauvais, si corrompu? Gavin n'a pas à vivre ça, il est loin, il ne voit pas, il ne souffre pas. Mais il sait, et il ne peut rien faire. Peut-être que sa douleur à lui est plus profonde encore, car il ne peut agir alors qu'il sait ce que moi je vis. Qu'en sais-je? Après tout, je ne suis qu'une gamine parmi tant d'autres. Sauf que ma douleur se voit sur mon corps. Je cris. Mais à quoi cela peut-il bien servir? Je lève la tête vers ma mère et je lui souffle "Je te déteste". Elle baisse le regard puis regarde ailleurs. C'est tellement facile d'être faible lorsqu'on peut être fort. Mais pour être fort, il faut se battre. Et tout le monde n'en est pas capable. Je ne suis pas comme elle, je ne suis pas comme ma mère. Alors je me lève, je me tourne vers mon père, le regarde dans les yeux, avec haine. Je lui crache au visage et j'attrape le vase sur ma droite avant de l'exploser sur la tête de mon père qui s'écroule au sol. Je me penche vers lui, et lui fais les poches. Je me tourne vers ma mère. La pousse et monte à l'étage. Je rassemble mes affaires dans un sac à dos, et me dirige dans la chambre de mon frère. J'attrape ce à quoi il tient le plus, et je redescends. Ma mère est au téléphone. Elle se tourne vers moi. Je la regarde quelques instants et sors de la maison. Sans me retourner.
Je sens encore les douleurs dans mon dos. La ceinture de mon père m'a de nombreuses fois abîmé, déchiré la peau. Et je n'ai rien dit. Je n'ai pas essayé de m'enfuir, et de m'échapper. Mais aujourd'hui, tout change. Je me dirige vers la voiture, et monte dedans. Je n'ai que quinze ans, mais il  a des choses que j'ai déjà apprise. Peu m'importe mon âge, la loi. Et si voler la voiture de ses parents est un crime, qu'il en soit ainsi. Je démarre et je roule, des heures durant, prête à retrouver mon frère.

Chapitre deux : La fuite

Parfois, on est obligés de commettre des actes affreux pour s'en sortir. Se salir les mains et regarder le sang couler sur nos vêtements. Il y a un jour où tout doit s'arrêter, pour vivre. Commencer à vivre, même à dix huit ans. Je regarde mon frère, haletant, paniqué. Et la voiture de mes parents brûlant sous nos yeux. Je passe la main sur le visage ensanglanté de mon frère et lui souris. Aujourd'hui, j'ai tué mes parents. Après trois ans de fuite, ils nous ont retrouvés. Et mon père, pointant son flingue sur mon frère, était prêt à tirer. A lui ôter la vie, comme si nous n'étions que des vulgaires pions que l'on pouvait poser puis retirer de la partie. Comme si la vie n'était qu'un jeu. Il nous avait donné la vie, et aujourd'hui il voulait nous la retirer. Sans hésiter, j'avais sauté sur mon père, le couchant au sol, et l'avais frappé de toutes mes forces, en hurlant. Il avait tiré, et mon frère s'écroulait au sol. Je me retournais un instant, touché à la jambe, il gémissait. Il me jeta un regard, comme pour me dire de continuer. Je lui souris, de ce sourire cruel et satisfait. Je me tournais vers mon père et levais le poing pour lui asséner un autre coup. Mais j'entendis alors un deuxième coup. Destiné à mon frère, mais que ma mère prit en plein coeur. Je hurlais de rage et lui retirais son flingue avant de le pointer sur son coeur. Assise sur lui afin de l'immobiliser, je le regardais dans les yeux. « Tu m'auras apprit une chose : survivre, ou mourir. » Et je tirai. Sans même hésiter. Mon père poussa son dernier misérable soupir. Je me levais et allais auprès de ma mère. Morte. Mon frère pleurait et ouvrit ses bras pour que je m'y réfugie. C'est ce que je fis et je l'embrassais sur chacune de ses joues. Il se leva alors et boita jusqu'au cadavre de notre père qu'il traîna jusqu'à la voiture, avec mon aide. Il le mit dans la voiture, et fit de même avec ma mère. Il monta au volant, sans que je puisse le retenir et fit rouler la voiture quelques mètres jusqu'à l'endroit où nos parents étaient morts. Il fit déraper la voiture et fonça dans un poteau. J'accourais, de peur qu'il ne se soit blessé. Il sortit, blessé au visage et me repoussa. Il se dirigea vers le coffre, l'ouvrit et vida le bidon d'essence sur la voiture. Je déplaçais le corps de mon père sur le siège du conducteur. Je m'éloignais et il sortit des allumettes : « Brûlons tout. Notre douleur, notre peine, notre malheur. » On s'éloigna et il craqua l’allumette avant de la balancer en hurlant. On regarda la voiture brûler, puis on partit. Sans regrets, le coeur léger. Prêts à vivre, enfin.

bienvenue à toi, andrea !
jolie écriture, et phoebe est superbe   

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