c'est un peu comme avoir un ami imaginaire. le mien a quatre pattes, des poils, une truffe humide et deux yeux à faire craquer la plus mégère des grands-mères. et il s'appelle pongo, comme le chien des 101 dalmatiens, enfin je crois. j'étais pas assez souvent chez moi pour regarder la télé, gamin. puis de toute façon, c'est pas moi qui lui ai donné son nom. « allez, attrape ! » je vous l'ai dit, je lui parle vraiment. le pire, c'est que j'ai souvent l'impression qu'il m'écoute. qu'il me comprend. ou peut-être que je deviens gâteux, à vingt-quatre ans. mon coup part trop fort, le ballon passe devant la gueule entrouverte de mon chien et s'enfuit, un peu plus loin. je trottine doucement vers la serviette où s'agite déjà une demoiselle. « désolé, j'ai mal calculé ma trajectoire. » et pongo, avec son poil ébouriffé, humide et plein de sable, qui vient se foutre sur la serviette de la belle fille pour lui quémander des caresses. un vrai sauvage, celui-là. on se ressemble bien. je l'attrape et le décale, le tenant entre mes jambes. « désolé, c'est un p'tit indiscipliné. »

mais la fille ne le prend pas mal. tant mieux. j'aime bien les gens comme ça, qui semblent détendus et d'un certain côté, je-m'en-foutistes du reste. alors, je lui souris moi aussi, histoire de lui montrer que c'est sympa de sa part. elle aurait pu m'engueuler furieusement, traiter mon chien de sale bête, et me jeter du sable dans les yeux, voyez-vous. en voyant qu'elle le trouve, visiblement, à son goût, j'écarte un peu l'emprise que j'ai sur le chien pour le laisser filer faire connaissance, de nouveau, avec la demoiselle inconnue. pongo est un bâtard. un chien de rue, un animal que j'ai trouvé un jour avec une pancarte autour du cou, la peau sur les os, au bord d'une route. il ne tremblait pas, il attendait sagement. comme s'il m'attendait. mais c'est vrai qu'il a son charme, le petit. « pongo. » rien qu'en entendant son nom, il se précipite de nouveau vers moi, et je lui gratte affectueusement la tête. je relève les yeux vers la demoiselle qui s'est levée. et lui tends la main, décidé à faire mon social pour une fois, histoire de changer mes habitudes d'ours solitaire. « et moi c'est arsène. » j'aurais bien voulu me présenter avec un prénom d'ici, puis un prénom plus classe, aussi.

elle les trouve joli, nos noms, pongo tu entends ? moi, honnêtement, je trouve que pongo ça fait un peu poncho, et qu'arsène, ça fait écrivain des lumières. mais bon, ça n'engage que moi, et j'sais pas pourquoi mais j'suis assez flatté qu'elle aime bien. je lui offre un sourire un peu niais. « c'est pas très courant, c'est vrai. » d'ailleurs, j'ai jamais croisé un autre arsène, tiens. ann-pryska, il faut avouer que c'est la première fois que j'entends ce prénom aussi ! « c'est joli aussi, gardons pryska alors. » je lui fais un léger clin d'oeil, taquin et dans le fond, toujours un brin séducteur. en plus, faut dire ce qui est, elle est carrément jolie. elle a un regard à faire fondre un iceberg. je hoche la tête doucement, me rappelant la douce france. « en effet, oui. je suis français. » j'affiche un sourire digne d'une pub pour dentifrice, genre colgate action trois en un, quoi. je passe une main dans mes cheveux indisciplinés. « tu as toujours vécu ici, toi ? » je fronce légèrement les sourcils. « enfin, toi, vous... on peut se tutoyer ? j'ai un mal fou avec les marques d'autorité, j'sais pas pourquoi, c'est comme les gosses qui appellent leur paternel « père », j'peux pas quoi ! et j'ai l'habitude de tutoyer au premier abord, sauf si c'est mon médecin ou un truc du genre. enfin... » enfin je m'embrouille, quoi, et je m'enfonce profondément. c'est bien, creuse tout seul arsène. je passe la main dans ma nuque, légèrement gêné. bon, faire des efforts c'est bien, mais on dirait un ermite qui se remet doucement au contact des humains, vu la galère.