Il est 22 heures, je suis ici depuis midi. Une longue journée oui, mais tout de même plutôt banale. J'enlève mon tablier, vide mon pourboire dans ma petite pochette de tissu et replace mes cheveux un peu en batailles. Une journée passée dans ce restaurant me laisse toujours un peu dégoûtante, je sens la friture et j'ai l'impression que l'huile me colle à la peau. Je nettoie rapidement mon visage avec l'eau du robinet, je met un chandail propre et déjà je me sens mieux. Je prend mon sac à main et je quitte le boulot en envoyant un signe de main à l'équipe de nuit. La fraîcheur de la nuit me fait soupirer de soulagement, puis je tourne la tête et tressailli légèrement sous l'effet de surprise en voyant une silhouette juste à côté. Ton visage est caché dans l'ombre, mais je devine que c'est toi par ta coiffure bien particulière. Je souris en m'approchant lentement dans ta direction, bien étonnée de te voir ici et maintenant que je suis rendue tout près, je n'ai plus aucun doute sur ton identité. « Tu m'as fait peur... »

Je finis par m’arrêter là. Parce que là, c’est juste devant ton fast-food et qu’il est vingt-deux heures. Et c’est par conséquent la fin de ton service. Ma journée a été lente, et c’était sûrement la plus ennuyante depuis que je suis à Gold Coast. D’habitude, je bouge beaucoup. Cette ville est grande, quand ce n’est pas vente de drogue, c’est vol à l’arraché sur la plage, ou braquage d’une petite épicerie du centre-ville. Mais aujourd’hui, c’était tout sauf cela. Je m’étais déjà levé du mauvais pied, alors il ne m’avait pas été difficile de prévoir une journée pourrie. Alors pour me remonter un peu le moral, j’ai pensé à toi, pratiquement tout le temps que j’ai passé au poste. Et quand la nuit a montré le bout de son nez, j’ai décidé de venir à toi. Et te voilà qui sort. Je jette le mégot de cigarette que je torturais entre mes lèvres pincées, la clope finie depuis longtemps déjà, et je te rattrape. Tu sembles avoir peu. Et tu le dis. Alors j’hausse les épaules. « Et comment devrais-je le prendre ? » Je t’adresse un sourire que tu ne dois sûrement pas voir. Et me voilà comme tout pompette !

Et comment devrais-je le prendre ? Je souris et baisse la tête, puis je te donne une petite tape amicale sur l'épaule. « Tu sais bien ce que je voulais dire... » Bien sûr que tu sais, j'ai simplement sursauté. Tu es sans doute la dernière personne que je m'attendais à voir ici, la dernière personne que j'aurais imaginé voulant me faire une surprise en m'attendant à la fin de mon quart de travail. Je ne me souviens même pas d'ailleurs de t'avoir dit mon horaire, je suppose que ça m'a échappé la dernière fois qu'on s'est vus. Peu importe en fait, je dois avouer que ça me fait réellement plaisir de te voir là... « Alors, qu'est-ce que tu fais ici? » Je souris en coin, mais vu la nature de notre relation je me doute à peu près de comment la soirée risque de se terminer.

Je te vois sourire, ça me fait plaisir. Mais j'ai l'impression que tout ça, le bonheur que je ressens maintenant, la joie qui pique un peu mon coeur, n'est en réalité que le début d'une tempête. Une tornade, même. Mais je fais abstraction, après tout, si je suis là, c'est de mon plein gré, non? Et puis ce soir, ce n'est pas le moment de me quereller avec toi. J'ai plutôt envie de te voir sourire. Quand tu me demandes ce que je fais ici, mon sourire se transforme en un rictus. Je dois l'avouer, je n'en ai strictement aucune idée. J'attends un peu avant de répondre, et puis je ne trouve rien, alors je retourne la situation en reposant une question. « Tu n'es pas contente de me voir là? » Au final, j'aurais peut-être du rien dire, ce genre de question, ça peut très vite tourner au sujet de discorde.

Je te dévisage pendant de longues secondes, tentant d'interpréter tes paroles. Mes lèvres forment une petite moue et je mordille l'inférieure, avant de me résoudre de ne rien répondre qui pourrait démarrer une querelle. Je suis bien trop fatiguée pour ça et surtout... j'ai vraiment envie qu'il reste auprès de moi, au moins une heure ou deux. Mon petit sourire revient et je m'approche de toi d'un pas en avant. « Bien sûr que si. C'est une agréable... très agréable surprise. » Je jette un coup d'oeil furtif par dessus ton épaule. « Es-tu venu ici à pied? » C'est une question comme ça, je ne sais pas si tu avais des plans pour la suite, mais je suis encore assez éveillée pour marcher au besoin.

Mes yeux balayent la rue inanimée et sombre tandis que ta voix résonne doucement dans mes oreilles. Tu t’approches alors vers moi, et moi je recule. Bon sang, qu’est-ce que je fous là, moi ? Tu es là, tes cheveux brillent sous le réverbère qui clignote toutes les deux minutes, tes lèves s’étendent joliment dès que tu parles. Tu sens l’huile, la friture, la graisse ; mais ça ne te rend que plus belle. Je baisse les yeux un instant, me mordillant la lèvre puis je relève le visage à ta question. « Je.. Oui, j’ai ma voiture. Tu dois être fatiguée, je présume. Je peux te ramener chez toi, si tu veux ? » Je bégaye, j’ai l’air d’un enfant.

Je détourne le regard alors que tu recules d'un pas et mon sourire se transforme a nouveau en une petite moue. J'hausse légèrement les épaules à sa réponse, un mouvement si discret que je ne suis pas même certain qu'il ait pu le remarquer. « Eh bien... si tu me le propose, je préférerais en effet y aller en voiture, mes pieds me font terriblement souffrir. » Ce n'est pas faux, mais la douleur n'est pas tout à fait insupportable. Je pense surtout à enlever cette odeur de graisse qui me colle à la peau... mais je ne connais toujours pas la raison de sa venue ici, ni ses attentes. Quoi qu'il en soit, autant pour une sortie ou une soirée dvd, ou pas de soirée du tout - qui sait - il faut impérativement que je me décrasse! Et surtout... Voilà, il est là, devant moi, et avec mon apparence actuelle il y a de faibles chances qu'il me trouve un tant soit peut attirante.