assise au bord de l'eau, je regardais le soleil se coucher lentement à l'horizon, faisant disparaître derrière lui toute trace de nuages, bouts de cotons ambulants tamisant le ciel. je prenais du sable dans mes mains, et le laissait glisser entre mes doigts, je sentais sa douceur couler sur mes bras. des images du passé défilaient dans ma tête, atroces souvenirs paralysant mon corps tout entier. je ne pouvais lutter, c'était ancré en moi, on efface jamais nos pires cauchemars et nos peurs les plus enfouies. derrière moi, j'entendais des pas qui me sortirent de mes pensées. quelqu'un se rapprochait et je n'osais pas me retourner. puis, sans un mot, il s’essaya à côté de moi et me salua. « on se connaît? »

J'ai passé ma journée à ne rien faire, ce qui n'est pas très surprenant venant de moi. Mais cette fois-ci, on peut me pardonner, je me suis réveillé à 13 heures, couché sur le tapis du salon chez un mec que je connais à peine, mais chez qui il y avait une super fête hier soir. J'ai complètement perdu la carte, encore une fois, et j'espère simplement ne pas avoir fait trop de conneries... J'suis retourné chez moi, j'ai pris une douche pendant, quoi, un heure et j'ai écouté la télé dans ma chambre... belle journée de perdue. Mais puisque je me remettais tranquillement de ma gueule de bois, j'avais envie de sortir pour voir le coucher du soleil et prendre un peu l'air. C'est ce que j'ai fait, et me voilà me promenant à Surfers Paradise et je m'approche de la mer en regardant le soleil couchant. Même si je vois ce spectacle tous les jours depuis mon enfance, je ne me lasse pas de le regarder. Il y a une fille, devant moi, seule et assise dans le sable. Je ne sais pas qui c'est, mais j'ai envie de discuter, simplement. Je m'assois donc auprès d'elle. « Salut. » Belle entrée en matière... Je me tourne vers elle alors qu'elle me demande si on se connait. « Non, je ne crois pas. Mais ça vient de changer à l'instant, je m'appelle Andrew. » Dis-je en esquissant un sourire.

et je sais pas de quoi j'ai l'air devant lui. je ne m'étais pas préparée à croiser quelqu'un ce soir, encore moins avoir à parler à quelqu'un. surtout à un mec. un beau mec, en l'occurrence. il me sourit en se présentant, et je lui rend son sourire, timidement, en essayant de guider mon regard vers le sien, les yeux toujours rivés sur l'océan. « je... moi, c'est Emilia. » je me sens un peu gênée, parce que je ne sais pas quoi lui dire, il m'a un peu prise par surprise, aussi. quelques secondes se passent dans le silence le plus total, juste le bruit des vagues, et mes doigts qui plongent dans le sable. j'hésite. « et euh.. qu'est-ce que tu fais là? » c'était une façon plus douce de dire tu cherches quelque chose?

Je perçois sa timidité, ce qui est tout à fait compréhensible. Après tout, c'est toujours bizarre qu'un total inconnu vienne nous parler, surtout dans une situation comme celle-ci. Dans un bar ou une fête, on s'y attend, mais ici sur la plage pratiquement vide, il y avait peu de chances que ça arrive. J'hoche la tête lorsqu'elle se présente, une manière de dire « enchanté » sans parler. Je me retourne vers l'océan et, à l’occurrence, vers le soleil couchant, et je ramène mes jambes vers moi afin d'y prendre appui pour mes bras. On reste un moment silencieux, jusqu'à ce qu'Emilia reprenne la parole. Mon regard reste fixé vers l'horizon et j'hausse les épaules. « Hum, la même chose que toi j'imagine. J'admire le spectacle. » Je tourne légèrement la tête pour la regarder. « Tu es du coin? » Je demande, car ce quartier est très touristique, même s'il est aussi très populaire auprès des gens de Gold Coast.

j'essayais de me détendre, de paraître moins froide. après tout, il avait pas l'air méchant, et il fallait bien que j'apprenne à me sociabiliser un peu plus. mais je n'arrivais pas à porter mon attention autre part que sur l'horizon au loin. et ses paroles me sortirent de mes pensées. tu es du coin? j'allais devoir raconter des bribes de ma vie à un inconnu. mais il semblait pensif, lui aussi. "euh oui, enfin pas vraiment, je... je suis née en Angleterre, je suis arrivée ici il y a huit ans." et là c'est comme si j'avais été engouffrée par le sable sur lequel j'étais assise. le souvenir de cette époque créa en cet instant même une vague de frissons en moi. je relevai la tête vers lui, bien décidée à faire abstraction du passé. "et toi?"

De l'Angleterre, alors. J'avais bien perçu que son accent était un peu différent de celui des australiens, mais elle ne m'avait pas encore assez parlé pour que je puisse l'affirmer sans le moindre doute. « Je vois, tu es loin d'être une touriste, alors! » Je souris, puis je repense à ce que je viens de dire et je me dis que ça ne devait pas vraiment faire de sens pour elle. « Pas que ce soit une mauvaise chose, je disais ça juste comme ça! Enfin... ça n'avait pas vraiment d'importance, que tu le sois, ou non... bref... »  Je ris de moi-même, j'ai l'air vraiment bizarre là. Mais je me reprend pour répondre à sa question. « Ouais, moi je suis né ici. Mais mes parents sont américains... »

... tu es loin d'être une touriste, alors! oh non. parfois je me dis que si nous étions restés à Bristol, rien de tout ça ne se serait passé. mais c'était trop tard, maintenant, le mal était fait. à ses mots, le garçon balbutia quelques phrases inintelligibles, comme s'il cherchait à s'excuser, du moins je n'avais pas vraiment porté attention à ses paroles. puis il se reprit, et me répondit qu'il était né ici, et que ses parents étaient Américains. quelque chose s'éveilla en moi, là, il avait attisé ma curiosité. j'avais toujours rêvé d'aller visiter les Etats-Unis. "Oh, et tu es déjà allé là-bas?"

Les yeux toujours tournés vers l'horizon, je ne vérifie pas si elle me dévisage après ce petit accrochage dans notre conversation. Mais elle ne part pas en courant, c'est déjà ça. Par la suite, je perçois dans sa voix un intérêt soudain, alors qu'auparavant celle-ci trahissait sa timidité à mon égard. Je souris et baisse la tête, en effet, j'ai eu mille et une occasions d'aller aux États-Unis, souvent aux basques de mes parents. « Oui, plusieurs fois même. Mon père a démarré sa propre compagnie là-bas, avant de venir s'installer ici... Toi? Y es-tu déjà allée? »

les mains crispées dans le sable, j'essayais de me détendre. il ne me voulait certainement pas de mal. je devais arrêter de penser que les hommes sont tous des monstres. "non... jamais. mais j'aimerais tellement, c'est une culture qui m'attire vraiment." plus que sa culture, l'immensité des Etats-Unis me faisait envie. j'aurais aimé me reconstruire dans un endroit tel quel. je tentais de m'intéresser un peu plus au garçon, qui, finalement, n'avait pas l'air si superficiel "et, alors, tu fais quoi ici?"