« Salut, j’m’appelle Jess. Je suis une amie, une collègue à Jude en fait. » Allison releva les yeux vers la brune qui venait d’entrer dans sa chambre d’hôpital et resta silencieuse. Depuis qu’elle s’était réveillée, elle n’avait pas dit un mot. Le silence la confortait comme si cela au moins, ne venait pas la provoquer.
« Ecoute, je sais que c’est difficile pour toi et que tu vas rapidement t’ennuyer alors je t’ai ramené des livres. Tu adores lire. » Alli la regarda, elle n’avait pas cherché à occuper son temps à vrai dire, il était passé alors qu’elle restait étendue sur ce lit d’hôpital pendant que de parfaits étrangers se présentaient à avec plus d’attentes les uns que les autres. Mais il n’y avait rien. Pas l’ombre d’un putain de souvenirs, juste le vide intersidéral, l’ombre d’une personne qu’ils avaient connue.
« Allison est-ce que…. » « Solweig ! » C’était son premier mot.
On ne pouvait plus l’appeler Allison, elle n’était plus Allison, elle était une personne différente et elle ne pouvait pas apprendre à aimer et à se comporter comme elle le faisait avant. Elle ne voulait plus voir la déception dans les yeux de ceux qui venaient la voir. Solweig serait à prendre ou à laisser et si on vient pour voir Allison plus que pour Solweig, alors… c’est du temps perdu pour tout le monde.
Il va y avoir la rééducation… Ses bras sont mous, elle ne pourrait même pas soulever une cruche d’eau. Des mois, vivante seulement à cause de ce moniteur, ses muscles ont fondus. Des tests psychologiques à n’en plus finir. Mais là où elle a de la chance c’est qu’elle apprécie cette Jess. Cette ancienne amie à Allison devient peu à peu l’amie de Solweig.
Surtout il y a eu ce matin-là, le plus effrayant de tous. Lorsqu’elle s’est réveillée, un homme dormait la tête posée sur ses jambes, il lui tenait la main. Solweig a ouvert la bouche. Qui était-ce donc ? Elle a délicatement retiré sa main et a manqué de faire une crise de panique quand Jess est arrivée, elle a parlé doucement pour ne pas le réveiller.
« C’est Jude. Ne t’inquiète pas Solweig. Vous étiez ensemble depuis quatre ans, environ. » Elle a baissé les yeux sur lui et je crois que c’est à ce moment-là qu’elle a décidé qu’elle ne pouvait pas être Allison. Il représentait ce qui lui faisait le plus peur. Une personne qui tenait réellement à Allison. Une personne qui allait avoir mal chaque fois qu’elle ne se souviendrait pas, chaque fois que ses goûts auraient changés. Elle ne le voulait pas.
« Fais le sortir. » furent ses simples mots. Alors elle fit semblant de dormir pendant que Jess demandait à Jude de quitter la pièce.
Mon nom est Solweig Person. Et je ne suis pas personne.
Derrière lui il laissait une écharpe. Elle était presque complètement fichue, des fils s’échappaient dans tous les sens. Elle avait vaguement cet air connu. Sol se pencha au bout de son lit pour pouvoir l’attraper. Dans sa main, l’objet prenait un sens particulier. Elle se revoyait dans la rue, l’acheter. C’était un soir d’automne. Il faisait froid, elle connaissait à peine son compagnon mais il avait été assez galant pour lui céder son manteau. En contrepartie, elle voyait bien qu’il avait froid et c’est devant ce marché qu’elle choisit une écharpe ocre. Pour lui. Solweig observa ce vieux fichu et sourit légèrement. C’était le premier souvenir qu’elle ait. Un moment anodin. Une soirée délicate alors que tous deux prenaient seulement compte qu’ils se plaisaient. Elle le porta à son nez et respira son parfum particulier. Elle savait, au fond, qu’ils s’étaient disputé parce qu’il la portait toujours et que cette écharpe était bonne à jeter. Un sourire en coin, elle pensa que c’était ironique, puisqu’elle était maintenant le premier souvenir qui la ramenait à sa vie antérieure.
« Bonjour Allison. Ca ne vous dérange pas que je vous appelle Allison ? » Le regard un peu froid de son interlocutrice se posa sur le docteur.
« Ca change quelque chose si je vous dis que oui ? » « Je vous appellerai Solweig alors, c’est bien ça ? » Elle hocha la tête.
« Bon… je vais vous le dire franchement. Cette façon que vous avez de considérer qu’Allison est une autre personne pourrait laisser penser que vous être sur le point de développer une deuxième personnalité et entrainer des troubles psychologiques inquiétants. Vous ne pouvez pas dissocier la personne que vous étiez de celle que vous êtes aujourd’hui. Vous comprenez ? Cela pourrait entraver votre rétablissement et vous bloqueriez le processus de récupération des souvenirs. » Solweig hocha légèrement la tête.
« Je vais vous dire une chose docteur. Pour avoir une double personnalité, il faudrait que je me souvienne de la façon dont je réagissais avant. Je comprends que cette histoire de se faire appeler autrement puisse déstabiliser mais ce n’est pas pour renier ce que j’avais avant bien au contraire. » Elle marqua une pause.
« Ecoutez ce qu’il y a de plus dur pour moi, c’est les regards que les autres me portent, ce besoin oppressant qu’ils ont que je les reconnaisse. Ils ne sont personne pour moi, docteur. Alors je trouve que leur dire que face à eux il y a quelqu’un de différent, qu’il y a une fille qui s'appelle Solweig et qu’il va falloir créer quelque chose, une amitié par exemple. C’est plus simple que de leur dire que je suis Allison, leur meilleure amie, leur fille ou leur nana et que je ne me souviens pas d’eux. J’ai besoin de créer quelque chose avec eux, d’aller de l’avant parce que si la seule chose sur laquelle je me focalise c’est mon amnésie, j’vais y passer docteur. J’veux créer, je veux que quand ils entrent dans cette foutue chambre je sois heureuse de les voir, parce que même si je me souviens pas d’eux avant, je veux pouvoir tenir à eux. Et je veux voir sur leur visage autre chose que de la peine. Je veux qu’ils m’aiment sans souvenirs aussi. » Il y eut un long silence, chacun assimilait les paroles de l’autre puis le médecin se leva et s’exprima une dernière fois.
« D’accord. Solweig alors. Vous et moi on va créer. Mais à une condition : n’abandonnez pas Allison. On peut créer et aller de l’avant mais pas au point de faire une croix sur le passé. Essayez de vous souvenir. » Solweig lui serra la main. Elle avait trouvé là un allié pour tout reconstruire mais aussi pour tout retrouver.
***
Comme vous l'aurez compris, Solweig est amnésique. Elle a eu un accident de voiture il y a environ quatre ans et demi et depuis elle est plongée dans le coma. Elle vient de se réveiller et malheureusement il lui est impossible de se souvenir de l'homme qu'elle aimait alors : Jude ou de tout autre personne qui peuplait son quotidien. Mais petit espoir, elle se rend compte que certains souvenirs refond parfois surface, aussi rares soient-ils.