C'est marrant, suffit de s'arranger pour que quelqu'un pige rien à ce qu'on lui dit et on obtient pratiquement tout ce qu'on veut.

Au milieu des autres, t'es belle. Sûrement plus qu'une autre. T'es belle comme peu de femmes le sont. T'es belle comme si rien ne t'atteignait, belle comme si tu te foutait de tout. Tu t'appliques a ne pas regarder les gens, a ne pas croiser leurs regards malsains. Ce monde est malsain. Ce monde est a gerber. Les hommes dans leurs costumes cherchent ce contact qui entre mille fera d'eux l'homme le plus riche du monde. Noyés par le bruit de la musique, ils recherchent le profit. L'argent. Ce dégueuli qui gère le monde et dont te voilà parfaite égérie. Personne ne s'en cache. Tu es celle a qui il faut sourire. La main a embrasser. Le bras a prendre. Ton nom raisonne comme une promesse, celle d'un avenir florissant. Mais tu ne t'attarde pas. Les femmes autour de toi sont belle, a l'image de cette mère qui en retrait sourit. Dans l'ombre de ce mari, elle replace une mèche de cheveux avec une délicatesse qu'elle semble être la seule a posséder. Elles sont vulgaires les autres. Avec leurs robes cent fois trop belles, et leurs ongles bien trop vernis. Elles sont laides. Et parfois, quand t'y pense, elles te font peur. Question d'éducation. Voilà a quoi ils voudraient tous que tu ressembles. A ces femmes puissantes, et ces épouses parfaites. Toi, la poupée qui hésite, l'enfant qui prend peur. Un homme arrête ta course et tu lui répond par un sourire poli. Il embrasse ta joue et te murmure au combien il te trouve belle. Tu voudrais lui répondre toi, que tu ne le trouve pas beau. Qu'il ressemble trop a ce père qui pendant trop longtemps t'a formaté. Tu souris a nouveau, embrasse délicatement sa joue. Un faire valoir, c'est ce que tu es. L'image d'une entreprise, la digne représentante d'un nom. C'est ce qu'on t'a appris. Enfant, on te répétait de toujours sourire, de t'appliquer a bien présenter. Tu le fais. Sans jamais rien dire, tu t'appliques dans ce rôle de divinité. On ne t'appelle plus Rose mais mademoiselle. C'est dingue comme ils aiment t'appeler de la sorte. Comme si en te dé-personnifiant, tu devenais un peu leur propriété.

La musique s'arrête. Sur la scène, les musiciens s'en vont, et tu profites de l'agitation pour t'échapper. « A table messieurs-dames ! » Les gens applaudissent comme on applaudit quelque chose d'hors du commun. Ils sont tristes tant ils sont fades, pourtant, ton père est le premier a lever son verre au nom de cette pseudo soirée de charité. Y a que les riches pour faire des fêtes qui coutent des milliers en pensant au plus pauvres. Les gens ne font même pas attention a toi quand tu te glisses dehors par la porte de derrière. T'as toujours su être discrète. C'est ce que les gens répète. Rose est réservée, Rose elle parle peu. La vérité, c'est que Rose elle s'ennuie. Qu'elle est incapable de se retrouver au milieu de toutes ces bonnes manières. Alors tu t'adosse au mur, et dans un soupir, tu te laisse glisser au sol. Au loin, on entend les voitures. T'apprécie. La solitude ou le bruit, sur le moment, t'y réfléchis pas vraiment. Ces moments sont rares, ceux où silencieuse tu t’éclipse, ou pour quelques instant, on te laisse respirer. Quand t'as posé la question a ta mère, elle t'a dit que tu finirais par t'habituer. Parfois t'en doute. Alors de la poche de ton manteau, tu sors un paquet de cigarette et en glisse une entre tes lèvres. Effacée la femme parfaite, ton père serait outré. Doucement, la fumée vient remplir tes poumons et tu fermes les yeux. La soirée est bientôt finit. Dans la salle, les invités applaudissent de nouveau. Te voilà au spectacle, face a marée de comédiens, de mauvais acteurs. Tu t'assure préférer les gens vrais, mais pourtant parfois, tu doutes. Tu te dis qu'a force, t'as finis par devenir comme eux. Une marionnette. Une poupée. Un peu fragile, un peu bancale. Un joli tableau dont on s'applique a repeindre les contours. « Vous auriez pas du feu? »  Et le voilà devant toi, héro au corps maquillé. Tu ne reconnais pas celui qui quelque minutes œuvrait sur scène. Tu ne reconnaîtrais personne. Tu vois Rose, si t'avais face a toi l'homme de ta vie, tu serais même incapable de le reconnaître ! Parce qu'il est là, debout, et tellement différent de tout. Le voilà sauvage, prédateur insouciant. Alors quand il tend sa main pour t'aider a te relever, tu t'en empare, sans savoir qu'il est effectivement l'homme de ta vie. Une simple histoire de briquet. L'histoire simple d'un homme et d'une femme. Mais il faut que vous sachiez que c'est pas une histoire d'amour. Non.

Y a des choses qui devraient rester comme elles sont. Faudrait pouvoir les planquer dans une de ces grandes vitrines et plus y toucher.

Assise sur le canapé, tu te sent pas a ta place. Tu te sent plus a ta place. Avant, ça semblait logique, de te voir assise là, à coté de cette mère, sa main posée sur ton genou en signe d’appartenance. Un lien pour lequel elle se serait sûrement battu. Mais là sur le canapé, elle s'est écarté, et tu le vois bien, qu'elle écoute d'une oreille distraite le peu de paroles que tu prononce. Elle jette des regard anxieux a cet époux qui lui s'applique a ne pas te regarder. C'est pas qu'il ne t'aime pas Rose. Non. Il est juste déçu. Parce que t'étais belle, parce que t'étais riche, parce que t'aurais pu être son arme la plus puissante. Sur tes genoux, l'enfant s’agite, s'empare de tes doigts qu'il porte a sa bouche. Le patriarche te fixe, le regard plein de reproches. Voilà ce que tu es devenue. La gamine paumée, mère d'un gamin dont le père s'est tiré. Il est trop content, il jubile. Combien de fois il te l'a dit, que tu finirais perdu, que tu faisais le mauvais choix ? L'enfant lâche tes doigts. Il s'ennuie, tu t'ennuie aussi. Alors il glisse du perchoir que représentaient tes genoux pour venir se glisser sur l'épais tapis en peau de tu sais même plus quoi. T'as oublié. Tu sais même plus si un jour t'as demandé. Là devant toi, tu le trouve beau. Ce gamin maladroit dont le regard brun te transperce a chaque fois. C'est dingue comme il ressemble a son père. Fou comme il te ressemble peu. Là sous le regard accusateur de ce père, tu voudrais le prendre contre toi pour t'assurer qu'il ne lui arrivera jamais rien. Cette famille détruit les gens qu'elle aime. Ils ont beau dire, que tu t'es détruite toute seule, que c'est toi qu'a choisit ce chemin bordélique, ils se trompent. En face de toi, ton oncle rit de sa voix grave, amusé par une blague qu'il vient lui même d'énoncer. Toi tu souris. T'aimerais voir la tête d'Oscar s'il avait été là. Y a pleins de choses que t'aurais aimer lui montrer. Pleins de moments où t'aurais aimé qu'il soit là. Parce qu'il aurait aimé, t'en est persuadé. Parce que ça aurait pu le sauver. Mais Oscar n'est pas là. Alors tu reprends les bonnes habitudes, tu acquiesce de la tête quand on te pose une question et tu souris quand l'oncle crado se sent obliger de sortir une blague salasse. C'est l'enfant qui te sauve. Ce petit être fragile et terriblement diabolique. De ses petits doigts trop ronds, il percute un verre de vin laissé en bout de table. Et le verre tombe. C'est drôle, terriblement même, et l'enfant rit aux éclats. Ce moment l'amuse comme il s'est peu amusé depuis son arrivé ici. Enfin quelque chose de drôle. Mais le visage des gens autour de lui s’assombrit. Ta mère a déjà bondit pour tenter de limiter les dégâts. « Pas étonnant que cet enfant soit aussi mal élevé. » La voix du père est cinglante, elle percute violemment. Quoi ? Quoi ?! Alors tu te lèves et glisse l'enfant entre tes bras. Qu'ils te détruisent toi, peu importe. Mais qu'ils ne le touche pas lui. Tu t'es toujours appliqué a rendre sa vie idéal, a ce qu'il ne manque de rien, que ton choix de le priver de son père ne soit jamais un manque pour lui. Tu te serais sacrifier pour lui. Vraiment. Parce qu'il est là, l'amour. Derrière ces deux grands yeux noir. Ta mère te fixe et pour la première fois de ta vie, tu la fusille, tu la détruit. Ton père se lève a son tour et se place de manière a te bloquer le passage. Tu t'avance, décidé. Stop. « Peut on savoir ce que tu fais ? » « Je sors. » De nouveau, t'avances. Dans tes bras, gêné par le ton froid des paroles échangées, l'enfant se met a pleurer. Chut. Chut calme toi. Vingt cinq ans, il aura fallut vingt cinq ans pour que tu forces le passage, que tu ose monter le ton fasse a cet homme qui gamine te levait au aurores pour que tu travailles mieux a l'école. S'il savait. « Tu es différente Rose. » Oui. Rose a grandit.