Papa a bu, un peu trop, comme d’habitude. Papa tangue sur ses pas, quand il passe la porte de la maison. Il a une lueur étrange dans le regard. Éclair de folie sur fond de cruauté. Papa beugle un peu trop fort, ce soir. Il a réveillé Maman, qui accourt, toute fragile et douce, dans son peignoir. Mais Maman n’est pas contente, non. Maman, elle le regarde d’un air méchant. Il ne devrait pas, non, Papa aurait dû rentrer plus tôt. Elle en a marre d’attendre, marre de le voir tituber le soir jusque dans leur lit, marre de l’odeur affreuse qu’il dégage, des cris que Papa crache après avoir bu. C’est un raté, Papa, qu’elle dit. Il ne sait rien faire, même plus de la musique. Il ne sait que boire comme un trou et beugler comme un animal. La main se lève et s’échoue sur la joue de Maman. Les larmes qui roulent sur sa joue. Ce n’est pas la première fois, non. Elle a des ecchymoses, des bleus sur sa peau trop blanche, Maman. C’est une scène tristement habituelle chez les Blobel. Sauf que cette fois, il y a un élément perturbateur. Une petite tête blonde qui est sortie de son lit. Le petit Franz qui se tient en haut de l’escalier, du haut de ses neuf années. Maman serre les poings. Cette fois, Maman ne se laissera pas faire. Maman a crié qu’elle avait quelqu’un d’autre déjà. Un autre homme, bien meilleur que Papa. Alors, Maman elle a pris le vase sur la commode et elle l’a cassé sur la tête de Papa qui est tombé par terre, assommé. Elle a dit à Franz de prendre ses affaires le plus vite possible et tous les deux, main dans la main, ils sont partis.

Maman s’est remarié bien vite, avec l’autre. L’autre, c’est Paul, le facteur, un petit homme aux cheveux de jais, plus jeune que Maman, tout le contraire de Papa et de Franz, fatalement. Plus il grandit et plus il lui ressemble. Les mêmes cheveux blonds qu’il garde long, les mêmes yeux océans et ce regard indifférent, l’air d’être perpétuellement dans un autre monde. Plus Maman regarde Franz, plus elle voit Papa en lui et plus elle est dégoûtée. Franz sent bien Maman s’éloigner et ce n’est certainement pas Paul qui va le consoler. Ils ont trouvé autre chose à apprécier. Un nouveau petit monstre que Maman a mis au monde. Un bon petit Australien sans l’ascendance germanique, sans le sang du raté. Franz est laissé seul, dans son petit bateau à la dérive. Il est si seul face à ses propres démons. Il trouvera refuge dans la blanche amie. La poudre du bonheur qui embaume son nez. Franz fréquente les mauvaises personnes. Franz décroche au lycée. Il était bon, même brillant pourtant, avant. Ça ne l’intéresse plus. Il n’y a que la coke, la coke qui sera là pour tous ses moments difficiles. La coke qui lui vole toutes ses économies. Il s’enfonce dans le mécanisme bien huilé de sa dépendance. Les soirées toute la semaine jusqu’à très tard dans la nuit. Les filles, entre ses reins, dans ses draps sales. Les jeux d’argents, le poker, les cours de bourse pour gagner l’argent pour acheter sa poudre. Les amis, tout aussi défoncés que lui, à rire, à refaire le monde, à se battre, à insulter les handicapés, les pédés et autres minorités. Mais surtout, les lignes qui s’alignent, toujours plus nombreuses, immense armée blanche. Infernale spirale de l’accoutumance.

Snow, la neige, la belle blanche, la fragile. Une autre poudre blanche. La coke, ironiquement, qui coulait à flot. Au fond du trou et tu creusais encore. Pupilles éclatées, perpétuellement high. Elle est certainement trop bien pour toi. Elle est sûrement un peu plus jolie que les autre. Comme toutes les jolies choses, t’as ce besoin viscéral de la détruire. Tu dois souiller son innocence. Piétiner sa fierté. Éclater son cœur dans des milliers de morceaux. Tu es mauvais pour elle. Tu n’es pas fait pour elle. Elle mérite mieux. Elle aura mieux. Et pourtant, c’est toi qui es là. C’est toi qui lui fais l’amour, le soir, les jours où l’excès de coke ne t’empêche pas de bander. T’as essayé, ouais, de la préserver. Au nom de cette sensation au creux du cœur, de bons sentiments qui t’étaient inconnus auparavant. Mais essayer, ce n’est pas toujours arriver. Tu n’as pas tenu longtemps face à tes vieux démons. Tu trainais de nouveau dehors, neige dans le nez plutôt que dans le cœur, tu te perdais dans d’autres corps. Tu rentrais tard le soir, plus d’alcool et de coke que de sang dans les veines. Tu venais brailler en titubant. Tu la frappais pour un oui pour un non. Elle était belle pourtant, même avec les bleus sur le corps. Tu t’en voulais, ouais. Tu lui demandais pardon. Tu lui disais je t’aime. Tu recommençais le soir même. Elle a fini par partir, comme Maman, comme toutes les autres. Papa avait raison, elles partent toutes un jour. Les nuits, parfois, tu rêves encore de son visage meurtri, son corps pleins d’hématomes et ton rire immonde qui résonne à tes oreilles. Tu te donnes la gerbe. Tu dois arrêter, avant de finir taré, tu dois arrêter avant de crever. Plus de Snow, plus de coke.

Bo, tu ne l’as jamais trop aimé. Pas même quand t’étais encore avec Snow, sa meilleure amie. Ça crevait les yeux qu’il était fou d’elle et le fait qu’ils dorment pratiquement ensembles n’arrangeait pas les choses. Tu l’as supporté, ouais. Pour faire plaisir à Snow, tu ne lui as pas craché à la gueule tout de suite. Pourtant, t’as toujours su que y’avait un truc qui clochait chez toi, quand tu le voyais. T’as essayé de te faire croire que c’était de la jalousie, pour ne rien compliquer. Mais c’était autre chose, c’était cette foutue envie que tu ressens en voyant une belle paire de seins, accompagné d’un visage pas trop laid. Alors quand Snow est parti, quand le manque de coke se faisait trop ressentir, y’avait la haine qui prenait le dessus. Bo, c’est le cheveu sur la soupe. C’est l’histoire qui n’aurait jamais dû commencer. Y’a ton sourire cruel, les sales remarques blessantes, la rage qui gronde à deux doigts de lui coller ton poing dans la gueule, devant les amis qui te rejoignent souvent dans la partie. En privé, cependant c’est une autre histoire, ce sont des nuits que ni l’un ni l’autre n’assume véritablement. Ce sont vos corps entrelacés pour quelques instants de trêves. C’est le silence gênant au petit matin, c’est l’accord tacite de faire comme si de rien était. Ce qui était une erreur de jugement est devenu régulier. Tu n’as jamais été du genre trop tolérant. L’amour est aveugle ou toutes ces conneries là. Les pédés, tu ne les as jamais trop apprécié, tu leur as bien lâché quelques insultes à la volée. Mais ça ne te concernait pas vraiment, t’as toujours baisé des filles, plus ou moins jolies. Évidemment, il a fallu que Bo vienne tout gâcher. Surtout que merde, tu n’imagines même pas la tête de Snow si elle apprenait ça, c’est son meilleur pote quand même. T’as beau vouloir détester Bo aussi, tu accepterais sans doute de l’aider avec quelques grognements, s’il venait à te le demander. Alors non, tu n’assumes pas. Tu retournes ton dégoût sur les autres déviants. Les cibles faciles, les plus faibles. Sale con, va.

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