Le soleil qui se lève doucement au delà de la ligne d'horizon. Les embruns marins et l'odeur de vieux cuir qui emplissent l'habitacle de la vieille impala. Quelques cheveux roux qui s'échappent d'un chignon fait à la va vite. Dans la douce quiétude du matin, Déa attend. Aujourd'hui, elle est de congé au garage. L'insigne "taxi" trône fièrement sur la carlingue de la voiture. Arrondir les fins de mois. Ne pas se faire choper. Sans licence, on vit dangereusement. Déa soupire alors que ses yeux se promènent sur la mer, au fond. A southport, quelqu'un aura toujours besoin de se faire conduire quelque part. En attendant, Déa augmente un peu le volume de l'autoradio. Supertramp chante goodbye stranger. La musique flotte dans l'air.

Ma voiture m'a lâché. Ma voiture m'a lâché, hier soir, en rentrant chez moi. Ma vieille Alfa Romeo, ma Giulietta sprint, messieurs, sprint ; rouge mat, oui. Non pas que je m'y connaisse énormément en voiture, en fait j'y connais même pratiquement rien, mais cette voiture je l'ai depuis que je détiens le permis. Et puis, ça me donne un air intelligent les longues descriptions de bagnole, non ? Ce matin, je me suis levé, seul, une âme en peine qui se traîne jusqu'à dans sa cuisine dans son boxer, les cheveux ébouriffés par la nuit toute sauf mouvementée que j'ai passé. Et j'ai mangé un pain au chocolat en regardant à la fenêtre de mon appart, laissant mes yeux caresser la place où je gare d'habitude ma voiture, aujourd'hui vide.
Alors me voilà maintenant dans la rue, paumé, à chercher un taxi pour aller au boulot. Vous y croyez vous ? Oh, en voilà un. Je fais un signe à sa conductrice et j'y rentre.

C'est le pas sur le bitume qui lui met la puce à l'oreille. Cette sensation de n'être plus seule au monde devant le soleil qui se lève. Déa tourne la tête. Il est là. Son premier client de la journée. Le premier qui aura l'honneur de s'asseoir sur la banquette arrière de la voiture de collection. Celui qui roulera dans les rues presque vides de Goldcoast avec du vieux rock dans les oreilles. Le premier enfin, qui aura la joie de se faire entuber par une jolie rousse qui n'a pas le droit de se prétendre taxi. Par une fille qui aime conduire et qui aime se faire un petit bonus. Déa, qui est restée gosse, qui fait semblant. où est-ce que je vous emmène ? Le vouvoiement a du mal à passer, le client n'a pas l'air très vieux, mais elle se veut un minimum professionnelle. Faussement professionnelle. Elle pose son regard sur le brun qui, d'un air nonchalant, s'est avachi sur la banquette. Le regard encore un peu éteint, les cheveux pas tout à fait coiffés. Elle sourit.

Spoiler:

Je m’assois sur la banquette. Ma voiture me manque à cet instant. Le taxi est confortable, je dois l’admettre mais bien vite je dois me redresser parce qu’un ressort doit se faire la malle sous mes fesses. Peut-être que je chipote un petit peu mais bon sang, ma voiture me manque quoi ! Puis, la conductrice me demande ma destination alors je lève les yeux au rétroviseur et je croise son regard. Elle est jolie, et jeune. C’est la première chose que je me dis. Puis mon chef s’introduit soudainement dans mon esprit. « Au commissariat, s’il te plaît. » Je la tutoie instinctivement, je me reprends d'ailleurs très vite. « 'Vous plaît. » Je regarde nonchalant les rues et les immeubles puis soupire intérieurement : je déteste les taxis.

Spoiler:

Il se trémousse sur la banquette et Déa sourit derrière le rétroviseur. Ce genre de sourire qui veut dire que oui, elle sait que c'est pas la bagnole la plus confortable du monde mais que bordel c'est son bébé et elle en changerait pour rien au monde. Ce même sourire qui faiblit sensiblement lorsqu'elle entend la destination de son client. Ne pas se démonter. Jouer la comédie. « c'est parti » qu'elle affirme, le tremblement de sa voix masqué par le vrombissement du moteur sous le capot. A travers le rétro, Déa examine le brun qui somnole encore sur la banquette arrière. Un flic ? Avec cette dégaine on dirait plutôt un voyou sous probation. L'habit ne fait pas le moine, tente que se répéter Déa en faisant gaffe à ne griller aucun feu rouge. « flic, voyou ou citoyen mécontent ? » qu'elle lance à l'aveuglette, comme pour se rassurer. Elle est consciente que tout le monde n'aime pas faire la discussion aux taxis mais c'est plus fort qu'elle. Il faut qu'elle couvre les battements irréguliers et beaucoup trop rapides de son coeur qui a un peu peur de se faire prendre.