burning (féodor)

J'enserre entre mes doigts un verre d'alcool, la moitié a déjà disparu au fond de mon gosier, ça me brûle la gorge, peut être même que ça me consume un peu mais je me sens mieux, presque détendu. C'est une drôle d'ambiance pour un vendredi soir. Un petit quelque chose de doux au milieu d'un boucan furieux. J'ai fini plus tôt aujourd'hui. Alors je ne sais pas, je ne sais pas si c'est mon petit air tourmenté ou les clients qui se font rares, mais le patron m'a libéré, moi, quelques billets et mes jambes pour aller me balader. J'inspire doucement, ferme les yeux quelques instant et avale une nouvelle gorgée. J'ai le sourire éclatant. Aller, ce soir, je profite, ce soir, je ne pense à rien, pas de tourments, pas de questions. Alors je tourne la tête, observe la silhouette à mes côtés et engage la conversation. Ouai, ce soir, je serais libre.

L'esprit tourmenté, l'âme intoxiquée, je me perds dans ce bar. La musique me viole frénétiquement, et doux jésus, j'aime tellement cette sensation. Sentir son cœur s'emballer, s'embraquer sur lui-même. Je suis vidé de tous mes problèmes, de toutes mes appréhensions, et de tous mes troubles. Je me sens libre, tellement libre. Je vadrouille à la recherche de ces deux filles qui riaient à ma maladresse. Je ne sais pas parler aux gens, je crois même que je n'ai jamais su le faire, mais ce soir-là, j'avais marqué des points. Elles prétendaient m'avoir trouvé touchant. Mes oreilles n'entendent pourtant plus la réalité, mes yeux n'acceptent plus la banalité de ma vie, tout est plus beau, tellement plus beau. Où sont-elles ? Je ne sais pas. Et puis à quoi bon ? Je ne suis pas seul ce soir là, la musique est là. De la techno, comme quand j'étais enfant, comme quand on s'amusait à danser sur Bashunter avec Xolem, mon beau Xolem. Je m'accoude au bar et gueule au serveur que je l'aime. Ca me fait rigoler un peu, lui aussi. Je veux un martini. Un putain de martini pour oublier encore plus, pour me libérer encore plus. Je tourne la tête, un sourire béat aux lèvres et je croise son regard. Son regard. Mon sourire s'efface alors. C'est terminé. L'effet s'est évaporé, d'une seule traite. La réalité est certe dure à accepter, mais je me dois de l'affronter. Il est là, devant moi.

je fais tourner mon verre vide autours de mes doigts et m'appuis un peu plus contre le comptoir, le regard fixe sur la silhouette à côté de moi. elle est jolie, drôle et a l'air d'avoir un semblant de discussions. elle n'a pas l'air non plus de se faire trop de plans, trop d'espoir. oh non, je ne l'emmènerais pas chez moi ce soir. ni ce soir, ni demain. je n'ai jamais été de ces gars-là. Alors je lui souris, lui propose un verre et lève les yeux. derrière les cheveux blonds de cette fille, le sourire de cette fille, la personnalité de cette fille, appuyé au bar comme du sel sur une plaie, il est là, il est là et il efface le monde entier. mon féodor, ma cavale honteuse. et qu'est-ce que je dois faire bon sang ? je dois fuir ? je dois faire semblant de ne pas l'avoir vu ? dire à cette nana que je suis attendu ailleurs et m'en aller ? sauter dans une voiture et faire comme si de rien n'était ? mais je peux pas. je peux pas. je l'aime toujours autant mon frère, même après autant de mois. même après mon père et sa foutue miss d'acacia. je dois te laisser. je parle doucement, tente un sourire malheureux et m'éloigne un peu. d'elle, de lui. je n'ose pas m'approcher. parce que j'ai peur de tout, de moi, de lui, de ma rancœur, de mon envie de le prendre contre moi et de sa colère, bon sang, de sa colère. viens, on va se poser là bas. que je souffle à son attention. non, tu n'as pas le choix et moi non plus. non, je ne peux pas juste te redire que tu n'existes pas. c'est faux. et toi, t'es bel et bien là, devant moi. même si t'as l'air changé, métamorphosé. oh, j'ai envie de pleurer. je m'assois contre un siège et ferme les yeux. j'ai la gorge serré. mes doigts effleure mon visage, le cache un peu. fé, c'est qu'un hasard hein, si t'es là ? tu... tu quoi ? j'y ai pensé mille fois, aux excuses que je pourrais lui offrir si jamais je le voyais. le discours parfait. c'est passé où tout ça ? maintenant que je le vois de mes propre yeux ? c'est passé où hein ? je le regrette pas. ce vieux qui a tout gâché. mais toi...

Xolem arrive. Il arrive. Il a l'audace de venir me parler. viens, on va se poser là bas. Je ne réponds pas, et c'est machinalement que je me laisse guidé vers l'arrière du bar, parce que merde, c'est mon ainé et que je suis censé le respecter. Mes pas sont si lourds, je n'ose dévier son regard, ma rancune me donne cette force de lui faire lire toutes les insultes du monde dans mon regard. Je traine, et c'est maladroitement qu'il me souffle quelques mots. Il m'appelle "Fé", comme il l'a toujours fait, il l'a toujours été le seul à me surnommer comme ça, mon cœur s'empresse, tourne sur lui-même, se scarifie. J'ai envie de chialer, et de lui cracher à la gueule, le frapper et l'enlacer. Une vague de sentiment me parcourt, et putain, c'est loin d'être agréable. je le regrette pas, mais toi... quel culot. ce salopard m'a abandonné, il m'a laissé tout seul merde, tout seul. j'ai même pas envie de lui répondre parce que les larmes me montent aux yeux et que c'est honteux, je tourne sur moi-même pour partir, pour fuir comme il l'a fait, mais merde, je ne suis pas un lâche moi, j'ai beau être son frère, je ne suis pas lui. Je bondis brusquement sur moi-même avant de me jeter sur lui pour le baffer, tambouriner son torse de mes poings, crier, hurler, je le déteste, ce bâtard a bousillé l'intégralité de ma vie. Je le déteste avec sincérité, et je l'aime comme je n'ai jamais pu aimé. Je chiale, comme une tarlouze, la tarlouze que j'ai toujours été. La sécurité vient vélocement nous séparer et m'extirpe à mon frère, encore une fois, pour me jeter violemment dehors.

je m'attendais à quoi ? à quelque chose de doux, de simple ? comme si c'était le lendemain de mon départ, comme si je venais de rentrer après 24h de cavale et que je le regrettais ? mais ça fait des mois pourtant. des mois où je me suis amusais à changer de numéro, à n'avoir aucune adresse, à le fuir comme la peste pour ne pas être retrouvé. mince. qu'est-ce qu'il y a de si effrayant chez lui ? qu'est-ce qui me fait aussi peur dans ses traits ? c'est juste mon frère, juste mon frère et il ne me mérite pas. Alors, lorsqu'il part, je me relève, je tente de le rattraper, de me rattraper aussi et lorsqu'il revient, lorsqu'il éclate, je me sens désemparé. fé, fé et ses colères. fé qui supporte et qui éclate. je n'ai jamais été la source de ses tourments. j'ai été toujours son soutient. et aujourd'hui ? qu'est-ce que je suis aujourd'hui ? son cauchemars ? sa haine ? ses tourments ? je tente d'attraper ses poignets, de lui souffler de se calmer mais on intervient avant moi. il se fait virer et on me bousille ma seule chance de lui parler. Moi aussi, j'ai envie de crier, de frapper quelque chose, quelqu'un. qui sont-ils exactement pour le toucher ? pour juger ce qu'il fait ? je mérite tout, absolument tout et ils n'ont pas le droit de nous juger. alors, avec ma carrure de plus vieux. c'est à moi de payer, de m'excuser. je dépose la monnaie et m'en vais, inquiet. en ai-je encore le droit ? et il là, en train de pleurer. fé. je tend la main, effleure son épaule du bout des doigts. t'es pas misérable. c'est moi. je serre la mâchoire, m'approche un peu. c'est moi le con, le mauvais frère, si j'en suis encore un. je ne suis plus rien. je l'ai moi-même dis. nous ne sommes plus rien. le mauvais type alors. je l'attire à moi. laisses-moi juste refaire ça. je le serre contre moi. ils ne t'ont pas fait mal ? t'es plus un gosse, je le sais bien. mais à te voir, si maigre et si fragile. j'ai l'impression que c'est à nouveau le cas.

ces fils de chiens m'expulsent, me font littéralement voler du bar. J'ai mal. Ma tête a frappé le sol, mes coudes sont égratignés mais je m'en fous. parce que ouais, ce soir, je m'en fous de tout à cause de l'autre. Xolem arrive, peu étonnant, il commence à regretter peut-être et j'espère du plus profond de mon être que tous ces regrets le boufferont, l'anéantiront. Il doit payer, il doit payer tout le mal qu'il m'a fait. Il s'abaisse pour prendre mon corps meurtri dans ses bras en me susurrant des idioties. Il se qualifie de con, de misérable, de mauvais. J'ai pas besoin d'entendre tout ça, je sais tout ça. Mais au lieu de le frapper, de lui dégueuler ma haine, je niche ma tête dans son cou et pleure, pleure à m'en dessécher les yeux. Je repense à tous ces mois, où tout le monde m'a laissé tomber, je repense à toute cette vie qu'il m'a arraché en partant avec ces valises. Pourquoi tu m'as abandonné ? Je t'ai rien fait moi, j'ai rien fait du tout. J'ai du mal à parler, je dégorge mes syllabes entre chaque sanglot, pis faut avouer que j'ai du mal à réfléchir, stupide drogue, stupide frère, stupide vie.